41 Le prince parfumé (2/3)

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     La route glacée serpentait entre les sapins et les congères. La neige envahissait le monde sous les ordres du grand froid. Celtica grelottait et son humeur se dégradait à chaque pas. Son sabre battait à sa cuisse une mesure indolente, le temps et l'allure semblaient mener un concours de lenteur. Un énorme bœuf aux longs poils gris rythmait leur avancée. Lentement. Un traîneau remplit de leurs affaires suivait l'animal, bien docile. Ils avaient posé et confié le Chaos à la dernière cité, puis avaient loué la bête, qui répondait au doux nom Tramo, et son attirail. Fédra avait insisté pour ne prendre aucun cheval, qu'elle jugeait trop fragile pour le voyage. Pas la bonne race, disait-elle. Et les quatre femmes était tombée sous le charme velu de ce bœuf !

     Il sentait fort, il dégageait une chaleur telle que la neige fondait sitôt perdue sur son lainage. Ses petits yeux noirs reclus derrière ses poils observaient le monde d'un air placide. Ses cornes, ridicules, pointait vers le ciel un timide droit d'existence. Son museau noir et luisant se plissait en humant l'air, son énorme langue rose surgissait parfois pour lécher le sol enneigé. Gras et massif, il avançait sans se rebeller. Mais Celtica décelait chez lui une inclination à la fourberie. Il n'aimait pas le regard qu'il lui lançait à la dérobée...

     Telnim et Vlad, pour le moment en tête, se répondaient dans un chant improvisé. Un jeu en vogue à la cour brasienne. Il s'agissait de créer un poème chanté et cohérent, jusqu'à ce que l'un des participants manque une rime ou perde le sens. Le thème de leur partie : Tramo ! Comment une bête si... perfide pouvait devenir le noble sujet d'une chanson ? Celtica se massa l'arrière-train. Il se souviendrait longtemps de leur première rencontre !

     Cléon marchait parmi les deux Walkyries et la mercenaire. Elles discutaient du Nord, du froid, de la neige. De Tramo ! Une pointe de jalousie perça sa poitrine. Et qu'il était fort, et qu'il était beau, et que ses poils étaient doux ! Vaniteux, l'animal oscillait la tête avec de plus en plus d'ampleur, comme pour leur faire admirer son poitrail puissant où sonnait une puissante cloche. Il ne s'agissait que d'un bœuf ! Comment pouvait-il comprendre ce que se disaient les femmes ?

     Loin derrière, Coxa observait un rythme plus lent encore. Le démon ne leur parlait que très peu, ne partageait ni leurs repas ni leurs jeux. Comme un inconnu, il restait en retrait et surveillait leur arrière. Au moins, ils ne craindraient aucune attaque de ce côté-là. Personne n'avait encore réussi à surprendre ces démons. Et puisqu'ils n'avaient besoin ni de repas ni de sommeil, ils constituaient des sentinelles hors pair. Pour une raison inconnue, le Lion se montrait de temps en temps particulièrement prévenant envers Cléon. Était-ce là un nouvel indice quant à l'enfant divin ? Il ne faisait aucun doute que l'Ordre Zodiacal savait. Mais Celtica hésitait à le lui demander. Lui répondrait-il, de toute façon ?

     — Ne devrions-nous pas retirer la cloche du bœuf ? demanda soudainement Celtica. En cas d'attaque...

     — Nous sommes toujours sur le territoire de Jesd, répondit aussitôt Jàvöna. Nous nous arrêterons à la frontière, dans la dernière ville avant les terres du Néöfrä, puis nous entrerons dans la toundra sauvage.

     — Nous délesterons notre brave Tramo de sa cloche à ce moment-là, reprit Nasha. Il n'y a plus de ville de l'autre côté de la frontière, personne ne se souciera qu'il l'ait ou pas. Ici, elle prouve que nous ne l'avons pas volée.

     — D'ailleurs, il n'y aura plus aucune auberge non plus, poursuivit la première. Alors, ce soir, profitez bien de votre repos. Si nous avançons bon rythme, nous mettrons deux jours à atteindre le sanctuaire, et deux autres à revenir à la frontière. Nous ne verrons pas beaucoup de nuit à la belle étoile. Et c'est bien dommage.

Le Chant des Astres - Tome 1 : Le Verset du FeuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant