43 Les dames du Néöfrä (2/3)

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     Le clan se déplaçait tous les jours. Les guerrières démontaient les tentes chaque matin et les remontaient chaque soir. Elles se séparaient en deux groupes, l'un partait en chasse tandis que l'autre s'enfonçait dans le nord. Elles ne parcouraient pas de grandes distances, mais elles s'éloignaient du sanctuaire. Cléon et Coxa les suivaient à distance, observaient leur va-et-vient.

     Depuis qu'elles avaient obtenu leurs prisonniers, elles paraissaient tout à fait indifférentes à leur environnement. Le démon n'avait repéré aucune éclaireuse, ni de ce clan-ci, ni d'un autre. Sans doute abandonnaient-elles la recherche des deux fuyards. Néanmoins, cet état de fait ne dispensait pas de la prudence la plus élémentaire. Le démon et la jeune fille restaient à distance du convoi, toujours dissimulés derrière une bosse. Ils n'allumaient jamais de feu, Cléon trouvait sa chaleur dans la pyrolithe que Celtica lui avait cédée à leur rencontre. Elle mangeait froid aussi. Pas de viande, car Coxa se méfiait des parasites et des crampes d'estomac, mais des racines tendres et sucrées et des baies hivernales qui peinaient à calmer son appétit.

     Les nuits rudes rongeaient la patience de Cléon, qui, à cause du froid glacial, tardait à trouver le sommeil. Pour faciliter leurs déplacements, ils avaient convenu de garder le plus gros de leurs affaires dans le traîneau. Désormais, elle s'en mordait les doigts. Coxa lui cédait sa cape cinabre, mais elle ne la contentait pas : elle n'exhalait aucune odeur. Que n'aurait-elle pas donné pour humer ne serait-ce qu'un peu d'essence de pin ou de menthe ? Avant de s'endormir, elle serrait dans ses mains la chevalière princière et s'essayait à une sorte de prière. Oh, les dieux ne lui répondraient jamais, elle n'était pas dupe, mais ce geste, ridicule d'inutilité, calmait un peu son anxiété. C'était cela ou hurler !

     Elle espérait que Celtica et les autres se portaient bien, que les Walkyries ne les maltraitaient pas, qu'ils buvaient et mangeaient à leur faim, qu'ils dormaient selon leurs besoins, et surtout qu'ils avaient bien chaud ! Cléon affrontait les températures avec tout son courage, mais parfois, il ne suffisait plus. Combien de temps pourrait-elle tenir ainsi ? Elle l'ignorait, et ne désirait pas le découvrir. Plus vite ses amis seraient libres, plus vite elle se sentirait mieux. Chaque jour, l'impression de mourir un peu la taraudait. Si le démon ne la soutenait pas, elle se serait sans doute rendue... ou aurait commis la bêtise de provoquer les guerrières du Nord.

     — Quatre jours, grogna-t-elle, et toujours pas de changement ! Combien de temps ça va encore durer ?

     — Je l'ignore. Le temps change, nous auront bientôt une opportunité.

     — C'est pas un peu de neige qui les embarrassera...

     — Elles restent mortelles. Le brouillard ou les tempêtes ne les avantageront pas.

     La Lumissienne soupira. Quatre jours sans feu, sans couvertures. Quatre jours à les suivre en attendant une idée éblouissante. Quatre jours sans ses regards, ses caresses, ses baisers... Assise au pied d'une colline, elle considérait d'un œil noir les baies disposées devant elle. Elle ne pouvait plus en avaler une seule ! Son ventre se tordait rien qu'à leur vue. La nuit les recouvrait de son voile opaque, les sublimes lumières du ciel disparaissaient derrière de compacts nuages.

     Allongé dans la neige, Coxa surveillait l'activité du camp. Il lui répondait à voix basse, mais ne bougeait pas un muscle. Un vrai félin tapis dans l'ombre... La jeune fille se releva et s'étira, percluse de douleurs. Le froid mordant s'infiltrait sous ses vêtements, s'acharnait sur sa chair tendre. Sans la pyrolithe qu'elle gardait niché contre son ventre, elle serait sans doute morte gelée !

     Elle s'empara de la cape du Lion et gravit la pente tant bien que mal. Elle rêvait d'ôter ses chaussures qui lui enserraient les pieds et de s'étendre devant un bon feu de cheminée. Elle s'était sans doute fait plusieurs ampoules, elle ne sentait même plus ses orteils ! Progresser vers le sommet de la colline relevait du calvaire, chaque pas menaçait de la faire tomber et glisser. La fièvre s'ajoutait à ses maux, ses lèvres saignaient en continue. Ses pauvres petits pieds se couvraient peut-être eux aussi d'entailles. Alors, elle avalait potion sur potion, dans l'espoir de retarder l'apparition d'hallucinations que son esprit tourmenté ne tarderait plus à concevoir. Même l'amulette des Anciens lui paraissait sans effet ! C'était peut-être déjà trop tard, la nuit, ses cauchemars prenaient des accents bien trop réels pour n'être que des divagations.

Le Chant des Astres - Tome 1 : Le Verset du FeuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant