03 Fuir (3/4) [V.2]

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     Un raclement de chaise sur le parquet, des petits pas précipités, affolés, la porte ouverte à la volée.

     — Cléon ! Est-ce que...

     — C'est pas pour moi, mais pour lui ! Il a été blessé !

     Le vieil homme à la peau d'ébène, aux cheveux gris et aux petites lunettes rondes examina le jeune Lumissien d'un air agité, puis reporta son attention sur le prince. D'un coup d'œil, il le dévisagea, observa ses vêtements de soie, sans émettre le moindre jugement. Une vague expression de surprise, d'incompréhension plissa de rides son front.

     — Amène-le-moi dans le fauteuil, après, va te laver !

     Le dénommé Cléon le conduisit jusqu'à un meuble, étrange chimère entre table et siège. Il l'aida à prendre place avec douceur. Lorsque son postérieur se retrouva en contact avec l'assise, Celtica n'eut plus qu'une seule envie : céder aux chants du sommeil. Son sauveur se pencha sur le prince.

     — C'est un bon médecin, tu ne risques rien, chuchota-t-il avec un clin d'œil.

     Son ton sincèrement amical et son désir palpable de lui être agréable touchèrent le prince. Ils échangèrent un regard entendu, peut-être un peu complice. Quelle sensation étrange ! Rien ne les liait, mais il avait tout risqué pour sauver la vie d'un inconnu. Cette nuit, le prince se sentait prêt à tout pour lui rendre sa gentillesse. Alors que Kwen traînait une petite table sur roulette et s'installait près de lui, le fils d'Aljinan s'envolait déjà vers la porte du fond.

     — Tu te laves bien les cheveux, hein ? Ensuite, tu reviens me voir, il faut que j'inspecte tes articulations.

     — Kwen ! siffla-t-il. Pas devant lui !

     — Dépêche-toi ! Tu as des comptes à me rendre !

     Il lui adressa une grimace enfantine, joueuse, et s'éloigna, un sourire en coin. La chaleur familiale qui unissait ces deux-là poignarda Celtica, violemment. Que n'aurait-il pas donné pour retrouver son père, son oncle et ses tantes ? Pour sentir, lui aussi, cette affection qui lui avait manqué presque une semaine durant ?

     — Cette enfant va me rendre fou... marmonna le médecin en découpant le bandage. Souffrez-vous, Votre Altesse ?

     Celtica sursauta.

     — Comment savez-vous...

     — Un jeune homme roux aux yeux gris, qui se balade dans des atours de soie, dans une région où se tient une importante assemblée de noble... Sans compter votre chevalière. Vous ne pouvez ni cacher votre statut social, ni votre identité. Mais détendez-vous, vous êtes en sécurité ici.

     Sa chevalière... Un bijou remarquable, transmis à l'héritier du trône impérial. Celtica ne s'en séparait jamais et lui permettait de signer ses documents.

     — Appelez-moi par mon prénom, alors. J'en ai assez des ronds de jambes.

     Une habitude empruntée à son père. Tenir son rôle ne l'intéressait pas pour le moment. Soigner ses plaies et retrouver un peu de dignité humaine, voilà ce qui lui importait vraiment !

     — Du bon travail, commenta Kwen. Vous avez bu une potion ?

     La terrible sensation de l'unique gorgée qui coulait dans sa gorge lui souleva à nouveau le cœur. Il ferma les yeux, grimaça et vainquit un terrible réflexe de régurgitation. Ce médecin était déjà bien aimable de le prendre en charge, autant lui épargner ce spectacle navrant !

Le Chant des Astres - Tome 1 : Le Verset du FeuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant