10 Le premier : Déicide (2/2)

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  Je traque toujours sans relâche ceux qui nuisent aux « pauvre ». Il ne s'est pas passé un jour sans que je pense à mon pêcheur et au chemin que j'ai parcouru jusqu'ici.

   Il fait nuit, et une lune hideuse éclaire ma route. Je sais qu'il est là. Je le pourchasse depuis quelques jours déjà. Il me file entre les mains comme un poisson dans une rivière. Je ne l'ai même pas encore aperçu. M'a-t-il surpris ? Sait-il que je le suis ? Les dégâts qu'il a causés sont très importants. Il agit étrangement, tue tout ce qui vit, tout ce qui passe à sa portée, sans distinction. Il a détruit des villages. Massacré des troupeaux. Se fichant de la richesse ou de l'intelligence. Rien ne lui échappe. Monstre ou Humain, animal ou Sorcier, il doit mourir. Vite.

   La forêt s'étend loin devant moi. Elle projette ses immenses ombres sur mon chemin. Elles m'offrent un parfait moyen de me dissimuler. Je sais que je vaincrai. Je sais que je l'emporterai. Mon corps tendu est prêt à l'affronter, mon esprit sait comment le battre.

   Je prépare mes armes. Mes bombes. Mes pièges. Je sais qu'il est proche. Je sais qu'il m'observe. J'avance, pas après pas. Est-il là ? Est-il là-bas ? Devant moi ? Derrière moi ? À gauche ? À droite ? J'arrive, oh, attends-moi ! Montre-toi ! Laisse-moi t'admirer dans toute ta force !

   Je vois quelque chose illuminer les alentours, comme une lanterne géante, au point d'y voir comme en plein jour. En son centre une créature humanoïde. Je me rapproche, à pas de loup. Un homme nu, grand, musclé, la peau pâle et légèrement grise, des cheveux blancs, longs, en batailles. La lumière provient de sa peau. C'est lui la lanterne. Je ne sais pas comment, mais c'est lui qui brille. Comme un soleil, il éclaire, comme la lune, il refroidit. L'air se glace, j'ai froid. Je me rapproche encore un peu et distingue ses yeux. Une pupille blanche dans des yeux entièrement noirs. Pas d'iris. Il me fait frissonner, m'écœure, me fascine. Qui est-il, qu'est-il ?

   La créature passa devant moi sans me voir, d'un pas lourd, chargé d'un poids cruellement pesant. Il pleure. Il gémit. Il pleure. Il mugit. Il pleure. Il pleure. Il pleure. Je veux l'attraper. Je veux le piéger. Le tuer. Sa douleur trouve un étrange écho en moi. Je ne suis pas malheureux. Je suis entièrement satisfait. Mais pour une raison mystérieuse, je crois le comprendre. Sa souffrance, son hébétude. Ce n'est ni un humain, ni un monstre. Ce n'est ni un Sorcier, ni un animal. Il me semble profond, unique. Effrayant.

   Pour abréger ses plaintes, je surgi devant lui. Ses bras musclés sont terminés par d'impressionnantes mains aux doigts crochus. Ses ongles, non, ses griffes tranchent l'air devant moi, j'esquive de justesse et renoue avec les ombres. Il laisse échapper un cri de désespoir qui me vrilla les tympans. Alors que le son s'évanouit, il me semble l'entendre encore. Et la créature lumineuse continue d'avancer, comme s'il ne m'avait jamais vu.

   Je saute à nouveau dans son champ de vision, je roule sur le côté, évite ses mains meurtrière, en fais le tour, mais sa main me frappe dans le ventre et m'envoie rouler dans les fourrés. Je n'arrive plus à respirer ! J'ai l'impression qu'un arbre m'est tombé dessus. Je crache même du sang. J'ai mal. Très mal. Mais je ne le laisserai pas s'enfuir !

   Changement de tactique. Je trotte plus que je cours, dépasse la créature et continue encore un peu. J'essaie de déterminer ses mouvements, son itinéraire. Rien de ce qu'il fait n'est logique ! Il me parait perdu, égaré. Je voulais lui poser un piège, mais je m'aperçois que la tâche risque de se compliquer, rapidement. Je considère plusieurs plans, incluant divers paramètres. Je ne sais pas quelle direction il va prendre, quelle sera sa prochaine réaction, je ne peux qu'émettre que des suppositions. C'est frustrant. Et excitant.

   Je choisis de placer un piège quelques mètre devant moi, j'espère parvenir à l'attirer. Il ne pourra pas m'ignorer encore longtemps. C'est ma proie, je suis son chasseur. Je n'ai pas peur de lui, je doute qu'il ait peur de moi. Je sens qu'un lien intime se tisse entre nous. Bientôt, nous nous connaîtrons parfaitement. Je veux rencontrer son regard, sonder les profondeurs de son âme tourmentée. Que rencontrerai-je, que verrai-je ? Je n'en ai pas même l'ébauche d'une idée.

Le Chant des Astres - Tome 1 : Le Verset du FeuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant