01 Les fiançailles (3/4)

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     — Mes amis, mes frères !

     La voix d'Aljinan claironnait dans le grand théâtre.

     Perché sur les balcons, Eickœs sentit son cœur se gonfler de fierté. Décidément, le chef n'avait pas son pareil pour motiver les troupes ! Seul sur la scène centrale, il pivotait sur lui-même, en douceur, pour fixer chaque visage. Un par un. Royal, son crâne chauve luisait d'un éclat digne sous les lumières artificielles des gemmes alchimiques et lui conférait une couronne des plus singulières. Un roi sans terre.

      Un silence tendu accueillait la moindre de ses paroles, de ses respirations. Il suffirait d'un rien pour que s'embrase cette assemblée anarchique. Des hommes, des femmes. Des esclaves en fuite, des affranchis. Des pirates, des savants. Pourtant, tous se suspendaient aux lèvres du chef imberbe, dirigeant autoritaire de Port Lumis depuis plus de vingt ans. Mais il ne fallait pas s'y tromper, Aljinan ne faisait pas l'unanimité. Si certains suivaient aveuglément ses décisions, les autres guettaient ses faux-pas, jusqu'à la prochaine élection. Personne n'était encore parvenu à le faire choir de son haut siège.

     Eickœs croisa les bras et jeta un œil autour de lui. La configuration du théâtre lui permettait d'épier ses concitoyens sans se tordre le cou. Les gradins s'étiraient dans les quatre directions. Installé au sommet des tribunes de l'Est, il jouissait d'un point de vue plongeant sur l'ensemble de la salle. Il repéra les rivaux d'Aljinan dans la partie supérieure du Sud, ses plus fervents collaborateurs au pied du Nord. Le chef n'en négligeait aucun, plongeait son regard aussi bien dans celui de ses fidèles que de ses détracteurs. Sans sourciller.

     Une fois n'est pas coutume, personne ne semblait armé. Plus encore, il ne restait pas une seule place libre, certains s'étaient assis dans les escaliers, d'autre juste devant la scène carrée. Une étincelle transformerait ces charbons ardents en un brasier incontrôlable. Non, pas aujourd'hui. Aucune flamme ne menacerait le chef, aujourd'hui.

     — À présent, l'histoire nous regarde ! rugit Aljinan. Le moment est venu de réclamer des comptes au pourceau qui nous sert de gouverneur ! Mes amis, je suis resté humble et magnanime face à tant lâcheté et de bêtise, mais il dépasse les bornes ! Vous m'en êtes tous témoins, j'ai été patient, calme, courtois...

     Un rire irrépressible secoua l'assemblée.

     — Mais vous savez ce qu'on dit des bons ? Il me croit faible. Par là même, il vous croit faibles, car vous m'avez confié le pouvoir durant ces longues années. Pardon si je me trompe, mais moi, je l'ai jamais vue, la faiblesse dans vos yeux ! Il est temps de le lui prouver !

     — Aljinan, l'interrompit une femme à la peau sombre, pourquoi aujourd'hui ? Il nous a insultés trop de fois, déjà ! On aurait dû agir avant !

     — Ma chère, c'est très simple. Des enfants ont été assassinés.

     Eickœs blêmit et serra les doigts sur la balustrade, alors qu'un murmure de colère circulait dans l'assemblée. Pourquoi ne lui avait-il rien dit ? N'était-il pas son fils, son successeur, après tout ? Pourquoi l'avait-il gardé pour lui ?

     — Des enfants ? hoqueta une vieille dame. Bon sang, qu'est-ce qu'il s'est passé, Aljinan ? Quels enfants ? L'Arcane a la mort de beaucoup d'enfants sur la conscience, qu'est-ce qui a changé ?

     — Tarabin. Vous savez, ce petit village au nord, qui nous fourni une petite partie de nos vivres ? Hé bien, Yréan le Cochon s'y est rendu, à Tarabin. En personne, en pleine nuit. Il a rassemblé tout le monde, sous le feu des torches. Il faisait chaud, la nuit dernière, pas vrai ?

Le Chant des Astres - Tome 1 : Le Verset du FeuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant