Yakuza

Chapitre 109

Semblable à des pierres d'émeraudes, aujourd'hui, les yeux d'Emiko ne brillent plus. Ses pupilles fixent un point inconnu et l'étincelle que je lui connais s'efface peu à peu. Un sanglot me prend à cette vision bouleversante. La voix étranglée, je gémis ma peine en respirant difficilement.

- Emi... pleurniché-je en décrochant ma ceinture de sécurité.

Mes mouvements sont lents et douloureux. Chaque geste m'arrache un râle étranglé. Les larmes me brouillent la vue et le sang continue de couler de ma tête, glissant le long de ma tempe.

- Tu ne peux pas...

Mourir.

Je lève lentement le bras, désireux de la toucher. Lorsque je me penche pour distinguer ses blessures, ses iris bougent rapidement le temps d'un instant et son torse s'élève dans une faible respiration. Je me décompose, ravagé par ce flot d'émotion.

- Emiko ! Tu m'entends ?! m'exclamé-je.

M'approcher d'avantage d'elle me demande un effort surhumain mais comme rien n'est impossible, je me décale de mon siège et me penche sur elle. Du bout des doigts, je repousse ses cheveux et observe l'étendue de ses blessures. Un morceau de verre est planté dans sa cuisse et un plus petit reste cloitré dans son bras où quelques gouttes de sang s'en échappe. Elle est inerte, recouverte de blessure mais son pouls est actif. Elle respire. Elle vit.

Emiko est vivante mais pour combien de temps ?

J'ignore l'ampleur de ses blessures. Si je tarde trop, elle pourrait périr. L'accident a été si brutal et rapide que j'en ai perdu la notion du temps. Et plus les secondes passent, plus je creuse notre propre tombe.

Les membres douloureux, j'ouvre la portière de la voiture et me hisse hors de l'habitacle. Étant trop faible, je tombe au sol et roule sur le côté. Les débris de verres jonchent le sol et quelques morceaux de ferraille sont étalés sur le béton froid. Le soleil brille au loin et brûle mes rétines dilatées. Je prends une grande inspiration, pousse un gémissement douloureux et me relève. Mes jambes flageolantes menacent de m'abandonner à tout moment mais pris d'une forte détermination, je me plaque contre la voiture et la contourne en grimaçant.

Mon champ de vision s'élargit et je vois la carcasse de l'autre véhicule gisant quelques mètres plus loin. La fumée s'échappe du dessous du capot et je distingue que l'airbag s'est déclenché. La tête d'un homme repose dessus et ses yeux sont clos. Peu intéressé par la santé de mon ennemi, je continue mon chemin jusqu'à atteindre la portière d'Emiko. Dans notre malheur, l'accident s'est produit dans une ruelle peu fréquentée. Je reconnais ce quartier et ce n'est pas le plus chaleureux de Tokyo. Si les habitants ont entendu les détonations et assisté à l'accident, je sais qu'ils ne viendront pas se mouiller par peur des représailles.

Les dents serrées, je tire de toutes mes forces la poignée de la portière et elle cède sans difficulté, déjà bien aplatit par le coup qu'elle a reçu. J'halète quand je la jette au sol et force sur mes jambes pour atteindre le côté conducteur. Emiko n'a pas bougé d'un poil, sa tête repose toujours contre le volant. De ce côté-là, j'aperçois tout le sang qu'elle a perdu.

Elle a pris le choc de plein fouet.

Épuisé, je déboucle sa ceinture et passe un bras autour de sa taille. Avec toute la délicatesse dont je peux faire preuve, je la tire hors de l'habitacle. Dans les cours de secourismes, on nous a toujours appris à ne pas toucher un blessé. Seulement, si je me résous à laisser Emiko à l'intérieur, c'est comme si je la condamnais à mort.

Et je ne peux le tolérer.

Son corps est lourd et me fait tomber lorsque je la soulève. Nous trébuchons tous deux et lessivé, je respire bruyamment en sentant ma vue se brouiller de nouveau. Ma tête me lance de tous les côtés et m'arrache plusieurs grimaces douloureuses. Emiko ne bronche pas, ses yeux à moitié ouverts. Je la sens lutter car elle bouge le bout de ses doigts, la respiration sifflante.