Chapitre 135

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Deux ans semblent court mais à mes yeux, le temps ne m'a jamais paru aussi long. J'ai passé chaque journée à me battre pour lutter contre la dépression et les troubles qu'elle a engendrée. Au stade où j'étais, les médicaments n'avaient plus aucun effet. Je vivais en me rendant compte que mon esprit était embrumé. Les larmes ne suffisaient plus, les cris et les gémissements me rejoignaient tard dans la nuit.

J'ai pourtant toujours été un garçon joyeux, plein de vie, et optimiste à souhait. J'aimais rire et vivre. Je croquais la vie à pleine dent.

Je ne sais pas quand ça a dégénéré.

Je ne me rappelle plus le moment où j'ai commencé à vaciller. Peut-être lors de mon premier enlèvement, lorsque Seungho Yoon m'a amené en Corée et que j'ai passé la nuit seul dans un entrepôt où la moisissure et la poussière s'entremêlaient parfaitement ? Ou alors, lorsque j'ai vu Tōji couper les phalanges de ses hommes de main et qu'un sentiment de dégoût s'est immiscé en moi ? Peut-être encore quand Saki s'est écroulé devant moi et que la vie quittait ses yeux petit à petit ?

J'ignore le moment où mon cœur s'est brisé. Tant de fois j'ai ressenti ces sentiments obscurs. Tant de fois j'ai refoulé mes émotions et continué d'avancer. Pour mon bien et pour l'amour que j'avais pour Tōji.

Que j'ai encore.

C'est indéniable. J'ai été incapable de l'oublier. J'ai beau être passé à autre chose, m'être refugié dans les bras de Ren et changé complètement de vie, chaque nuit ses pupilles grises viennent me hanter.

J'ai la sensation de faire encore n'importe quoi comme si la vie ne me laissait aucune occasion de me rattraper.

C'est épuisant de lutter contre soi-même. Parfois, j'aimerais fermer les yeux et que mon cerveau se vide de toutes ces pensées intrusives.

Un soupire s'échappe de mes lèvres. J'enfile mon manteau d'un geste monotone, des cernes violettes sous les yeux et une mine affreuse sur le visage. Mes pensées ne sont pas là pour faire joli, elles sont redevenues insistantes avec le retour de Tōji. Il a encore une fois chamboulé ce en quoi je croyais. Mes valeurs et mes principes sont sur un fil tendu, craignant le moment où il va lâcher.

Tout est flou. Une apparition et le désordre sonne désormais dans mon esprit. Je ne sais pas quoi faire.

Je le connais et s'il s'est posté face à moi, c'est qu'il a une idée derrière la tête. Seulement, je ne veux plus de cette vie chaotique et bouleversante. Elle a bien failli me faire succomber plus d'une fois.

C'est pourquoi en ouvrant la porte d'entrée et en voyant l'enseigne d'une pâtisserie reconnue qui trône sur un paquet, je reste las. Je m'abaisse, soulève l'emballage, l'ouvre et observe le cheesecake qui attend impatiemment de se faire dévorer. C'est mon gâteau préféré et cette information n'a jamais échappé au yakuza. Dans un silence pesant, je ferme ma porte d'entrée et me dirige vers les escaliers en béton qui mène à l'extérieur de mon bâtiment. La cour de mon immeuble est protégé par des murs épais mais le froid s'engouffre dans toutes les embrasures et avec le loyer bas que je paye, je ne m'étonne plus de ce manque de confort lorsque je traverse les couloirs.

Arrivé devant la grande porte en métal qui sépare l'extérieur de l'intérieur, je soulève le paquet du cheesecake du bout des doigts et le laisse mollement tomber dans la première poubelle que je vois.

Désormais, je déteste les cheesecakes.

***

YakuzaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant