Chapitre 146

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J'ai quitté Ren et il a déménagé ses affaires quelques jours plus tard. Sa décision est prise : il retourne vivre à Hokkaidō, là où sa famille vit. Je ne me suis pas opposé à son choix, comment le pourrais-je ? Avec ce que je viens de lui faire subir, je n'ai plus mon mot à dire.

Et ce n'est pas plus mal.

Délesté d'un poids, je me sens libre. Je suis seul mais pleinement conscience de mon existence. En revanche, les questionnements se bousculent dans ma tête et mon cœur ne cesse de me jouer de vilain tour. Tōji ne m'a toujours pas contacté mais Emiko et Ian prennent de mes nouvelles tous les jours. Il n'y qu'Akira qui reste hors de portée, car il a quitté le pays pour quelques temps. Un besoin de prendre l'air ailleurs afin que le souvenir de Saki le laisse tranquille. Hélas, il restera imprégné dans sa mémoire jusqu'à la fin.

Je suis neutre mais toujours plein d'amertume. Un choix s'impose. Je ne peux pas tourner autour du pot éternellement. Le yakuza m'attend, à moi de voir s'il me convient de retourner auprès de lui. Il est inutile que je pèse le pour et le contre, le négatif prendra constamment le dessus. J'aurai beau espérer une vie saine à ses côtés, mon souhait ne sera jamais réalisé. Il en a toujours été ainsi.

Tout de même, afin d'analyser un peu plus les choses et de me conforter dans mon choix, je décide d'accéder à une demande soudaine du mafieux. Je savais qu'il finirait par craquer un moment à l'autre, il n'a jamais été réputé pour sa patience. Alors, j'ai accepté de le suivre. En début de soirée, nous nous trouvons à bord de sa voiture sportive en bas de chez moi. Je boucle ma ceinture et lui lance un regard en coin.

Son calme est implacable. Je retrouve le yakuza derrière ses traits humains. La barbe fraichement rasée, il me couvre d'un regard tendre et jette un œil sur sa montre luxueuse qui trône sur son poignet gauche. Vêtu d'un costume beige et d'une chemise blanche, il a plaqué ses cheveux en arrière. Chaque parcelle de son être est un appel à la tentation, au désir inavoué, au danger. Si je ne le connaissais pas, je serais tenté de fuir mais à présent, je meurs d'envie de sauter sur sa bouche. Elle m'appelle, me supplie de céder, de craquer et de dévorer ses lèvres charnues. Je secoue la tête pour chasser ces pensées impures.

J'ai accepté de dîner avec lui. Un repas et nous en resterons là. Tel est ma condition.

Tōji démarre le moteur et penche la tête sur le côté, une main posée sur le volant.

- Ferme les yeux.

- Quoi ? dis-je, surpris.

- Je ne veux pas que tu voies où je t'amène. C'est une surprise, déclare-t-il.

Déconcerté, je fronce le nez et lui lance un regard perplexe. Je le connais, il va m'amener dans un restaurant luxueux. Nous allons manger des mets raffinés et boire du vin hors de prix. Ensuite, je mangerai un dessert copieux et il me ramènera en bas de chez moi. Avant de me poser, il tentera de me prendre dans la voiture et comme je refuserais férocement, il sera frustré et je serai ravi. Comme un premier rencard avec un mafieux, rien de plus. Mon quotidien.

- S'il te plaît, reprend-il en inclinant la tête.

- Bien, bien... obtempéré-je en roulant des yeux.

J'accède encore une fois, juste pour éviter un débat inutile. Autant rendre les choses plus agréables... Une moue lasse sur le visage, je ferme les yeux et pose ma tête sur l'appuie-tête. Tōji se met en route. Nous roulons quelques minutes, assez brèves à mon goût et cela dans un silence de plomb. J'aurais pensé qu'il aurait tenté une approche, comme une main sur la cuisse ou une plaisanterie de mauvais goût mais rien de tout cela se produit étrangement. Une boule se forme dans mon estomac et je regrette presque d'avoir cédé. J'aurais sans doute dû rester chez moi. Ça m'aurait empêché de voir la différence qu'il y a entre nous deux, celle qui nous sépare et nous fait du mal. Nous n'avons plus rien à nous dire. J'ai envie de chialer.

YakuzaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant