Chapitre 131

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Août.

Je ne suis pas partie au Mexique, ni avec grand-mère ni avec Saki.

Car dans mon cœur, la pluie est continuelle et l'averse ne semble pas prête de s'arrêter.

Octobre.

Si mamie Chiyo et Tora n'étaient pas là, il y aurait longtemps que j'aurai quitté ce monde.

Décembre.

Il neige. L'hiver est magnifique alors pourquoi mes larmes continuent-elles de couler ?

Mars.

Les fleurs de cerisiers éclosent et s'épanouissent à travers la ville tandis que je continue à mourir lentement.

Juin.

L'année s'est écoulée. Comment est-ce qu'on guérit ? Dois-je vivre l'éternité ainsi ?

Je veux que ça cesse. Je veux respirer.

Avec ou sans toi, Tōji.

***

Comme dans mes premiers souvenirs, Tokyo est d'une beauté incomparable l'hiver. Cette ville qui m'a tant donné et tant pris. Elle est chère dans mon cœur malgré le ressentiment que j'éprouve pour elle. Telle une vieille amie, elle ne cesse de m'accompagner dans tous les tournants de ma vie. Il neige et dans mon cœur, la tempête s'est atténuée. Je navigue encore dans des eaux troubles mais je sens que les jours meilleurs sont à venir. Parce que la vie ne s'est pas arrêtée lorsque j'ai perdu Saki ni quand Tōji m'a quitté. Mais...

Elle a pris un autre sens.

Deux ans.

Il m'a fallu deux ans pour réapprendre à vivre, à retrouver goût à la vie. Chaque journée me demande un effort inconsidérable mais je ne flanche pas. Je continue de me battre malgré les hauts et les bas.

« Un pas après l'autre »

Cette phrase n'a jamais été aussi véridique. Je l'ai comprise à force d'essuyer les échecs. Et le temps est passé. Maintenant, j'ai vingt-cinq ans et j'ai décidé de vivre.

Le toit de mon immeuble est un refuge lorsque j'ai besoin de faire le point sur ce qui m'entoure. Mes voisins n'y mettent jamais les pieds alors je me retrouve souvent seul à mon grand bonheur. Il est tard dans la nuit quand je m'installe contre le mur. Tout en glissant une cigarette entre mes lèvres, je me laisse glisser jusqu'à ce que mes fesses rencontrent la surface dure du sol. Les flocons de neiges voltigent avec délicatesse dans l'air et l'un d'eux tombe sur le bout de mon nez. Un bref sourire franchit mes lèvres tandis que je relève la tête vers le ciel étoilé.

Je me rappelle cette fameuse soirée qui a chamboulé ma vie. Ce soir-là où Saki désirait se rendre à une maison close, prétextant avec insistance qu'il voulait fricoter avec les geishas. Et ce qui a suivi derrière... Et ces souvenirs restent encore clairs dans mon esprit, avec une empreinte de nostalgie et de tristesse.

Avant d'allumer ma cigarette, je prends une longue inspiration, emplissant mes poumons d'air frais. Ces moments resteront à tout jamais gravés dans ma mémoire. Mais un jour, avec le temps, ils finiront par s'effacer sans que je ne puisse les revivre une dernière fois. Et désormais, je l'accepte.

Le briquet dans la main, j'allume l'embout de ma cigarette et tire une première bouffée. Je reste quelque seconde immobile, me contentant d'observer la fumée qui s'échappe de ma cigarette, les yeux dans le vague.

J'ai toujours mal mais grand-mère m'a dit que ça irait alors je continue d'y croire.

J'émets un petit rire et rejette la tête en arrière. Mon téléphone ne cesse de vibrer dans la poche de mon jean mais je l'ignore volontairement, concentré sur mes pensées. Il est temps. J'avance.

D'un geste rapide je sors sa lettre et la jette au sol après l'avoir brûlée à l'aide de mon briquet. Les flammes se reflètent dans mes pupilles et une seule larme roule le long de ma joue avant de s'écraser sur le béton.

Regarde-moi bien vivre sans toi, yakuza.

À présent, je vais faire comme si tu n'avais jamais existé. Comme tu me l'as demandé. Et ce n'est pas pour toi que j'accomplis cette tâche, c'est pour apaiser mes maux qui grignotent mon cœur depuis déjà bien trop longtemps.

Le feu crépite et la lettre se dissout rapidement sous mes yeux clairs. Je lâche un ricanement en portant une main sur la moitié de mon visage. Ma lèvre inférieure tremble et les dents serrées, je laisse les larmes inonder mon visage. Car dans ce moment solitaire où personne ne peut deviner le chagrin qui habite mon cœur, je me libère sans inquiéter d'avantage mes proches. Et demain, je me réveillerai et la vie reprendra son cours. Je continuerai de sourire et j'avancerai en espérant que mon cœur s'endurcisse.

***

Alors que toutes les personnes que j'aimais ont disparu subitement de ma vie, Emiko a tenté de garder contact. Sous couvert de lettre et de message, elle n'a cessé de prendre de mes nouvelles. Mais je ne lui ai jamais répondue.

Et face à l'interruption de ses courriers, j'ai su qu'elle avait compris pourquoi. Malgré tout, dans mes rêves les plus fous, je me vois en sa compagnie dans un salon de thé en train de siroter un milkshake à la fraise tout en babillant sur les derniers évènements du clan. Mais ce n'est qu'un rêve parce que la réalité n'est pas aussi belle.

Emiko, j'espère que de là où tu es, tu mènes une vie heureuse et épanouie.

Si un de nous deux est heureux, ça me va.

***

Debout devant la télévision, les bras croisés, je fixe avec intérêt l'écran où les médias relatent toujours la même chose. La Bourse, les élections politiques, les pubs à outrance... Lorsqu'un journaliste reprend le sujet de la Smart Fondation en évoquant la baisse du chiffre d'affaires et l'absence physique du PDG, j'éteins la télévision. Les yeux clos, je pousse un énième soupire et les pensées intrusives refont leur nid dans mon esprit.

Il a autant disparu des écrans que de ma vie.

Malgré tout cela, le Japon n'a jamais été aussi calme. On entend peu parler de gang et de drogue. La mafia a toujours été réputée pour gérer ces parties-là mais comme Kobayashi n'est plus là, qui s'en charge désormais ?

Tandis que je me baisse pour caresser la tête de Tora qui ronronne contre ma cheville, la vraie vie me ramène à la réalité.

- Yoshiro ! Viens goûter ma sauce ! entendis-je au loin.

Lassé de penser encore à ce genre de détail, je secoue énergiquement la tête et délaisse le salon pour rejoindre la cuisine, déambulant dans mon nouvel appartement dans lequel j'ai emménagé il y a un an.

- J'arrive ! m'exclamé-je en retrouvant le sourire.

Un nouvel appartement, de nouvelles perceptives et une nouvelle raison de sourire.

« Un pas après l'autre »

C'est bien toi qui me l'as appris, hein, Tōji ? 


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