Yakuza

Chapitre 115

Les jours se succèdent et la tension reste palpable au sein du clan. Les disputes éclatent entre les membres de l'organisation. Entre Isao et Ian qui débattent sur les stratégies à adopter, Katashi qui rumine sur les derniers évènements et Tōji qui bouillonne en silence, je ne sais plus où donner de la tête. Nous n'avons pas eu de nouvelle d'Aleksander et j'ai bien conscience que c'est mauvais signe. Le yakuza se désole d'avoir échoué. Avec un peu de chance, si le Russe est intelligent, il comprendra qu'il faut abandonner.

L'atmosphère est si oppressante qu'un après-midi, je prends la décision de sortir en compagnie de mes compagnons. Cela fait des semaines que nous restons cloitré dans l'appartement et cela suffit désormais. De plus, Emiko a besoin de prendre l'air frais. Maintenant qu'elle a retrouvée un semblant de forme, il faut entretenir son corps.

Tōji ne semble pas ravi de ma demande mais en voyant les nerfs qui nous habitent, il se résigne à céder. Alors, accompagné d'Akira et de Choso pour assurer notre protection, nous quittons l'appartement. Emiko retrouve le sourire en voyant le soleil briller dans le ciel.

L'air est doux et les fleurs des arbres éclosent. C'est la saison des sakuras et le rose qui enveloppe les plantations est beau à voir. Le parc où nous nous trouvons, à Shibuya, est constitué d'une aire de jeux pour enfants, de stand de boissons et nourritures ainsi que de banc pour se reposer. Les chemins sableux tracés mènent à plusieurs recoins végétaux où les fleurs regorgent de beautés. Plus loin, près des toilettes publiques, des bassins d'eaux s'étendent sur quelques mètres. Les carpes koïs y nagent avec bonheur et à chaque fois que j'en aperçois, je me remémore la malheureuse journée que j'ai passé au parc d'Harajuku. Jamais je n'oublierai les poissons qui ont bouffés mes sachets de cocaïnes.

Ce qui est amusant, c'est qu'à cette époque, je pensais vivre des choses folles. Les nouvelles expériences se succédaient et à présent, je les trouve d'une banalité sans nom. Ma vie a relativement changé et je ne serai dire si c'est en positif.

Le malheur m'accompagne désormais, où que j'aille et où que je sois. Tel est la vie d'un yakuza.

Le soleil brille fort dans le ciel et aveugle mes pupilles claires. Je passe une main sur mon visage en abordant une grimace et tourne rapidement la tête en entendant mon prénom être crié dans le parc.

- YOSHIIIIROOOOO ! hurle à plein poumon Saki.

Il court vers nous, son sac à bandoulière virevoltant dans l'air. Un grand sourire franchi ses lèvres et ses yeux brillent de malices. Il s'arrête lorsqu'il arrive en face de nous et essoufflé par sa course, fléchit les jambes et reprend sa respiration.

- Ah ah ah... Désolé pour le retard... Les clients ne voulaient pas partir, annonce-t-il.

Il relève la tête et nous adresse un doux sourire. L'aura de Saki est enjouée et l'énergie qu'il dégage réchauffe mon cœur. Ce garçon est le rayon de soleil qui traverse les nuages après une averse tumultueuse. Le pansement qui soulage après une blessure pénible. L'ami qui répare tous les maux.

Je le prends dans mes bras, si fort qu'il gigote et grimace.

- Eh bien, qu'est-ce qu'il te prend ? T'es pas aussi affectueux d'habitude ! Je suis toujours obligé de te supplier pour avoir un câlin. T'es enceinte ou quoi ? glousse-t-il.

- Débile.

Il sourit à s'en froisser les pommettes et porte son attention sur Emiko qui reste en retrait, les yeux dans la vague. Elle esquisse un faible sourire en croisant son regard et se frotte les avant-bras.

- Bonjour, souffle-t-elle.

Saki se détache de moi et l'attire contre lui pour la serrer dans ses bras. Elle écarquille les yeux sous la surprise mais, docilement, se laisse faire. Elle ferme les yeux en sentant la chaleur de ses bras et le réconfort que cela lui apporte. Sans doute qu'elle aussi pense qu'il est le remède à notre maladie.