Mi Beau Gosse Mi Batard II - Deuxième Chance

Ma nichtana

Ce soir-là était le premier soir de Pessah. Le Seder. L'un des seuls jours de l'année où Anna, la mère d'Eli, exigeait que tous ses enfants soient présent autour de la table. Tous ses enfants, et tous ses petits enfants.

Nathan savait qu'il n'avait pas le choix, pas ce soir-là. Sa grand-mère le lui avait bien rappelé au téléphone.

Si tu ne viens pas pour Pessah je meurs Nathan.

Il avait expliqué la situation à Laurène qui semblait s'en amuser. Elle aurait bien aimé l'accompagner, mais elle n'avait pas demandé. Elle avait bien compris qu'il n'en était pas question.

Nathan avait pris sa voiture et avait conduit jusqu'à Marseille. Tendu. Il n'avait aucune envie de croiser son père. De s'asseoir à la même table que lui.

Il pensait arriver un peu en retard, quand le Seder aurait déjà commencé. Comme l'année passée. Lancer un regard d'excuse à sa grand-mère, s'asseoir à sa place. Ecouter sagement les prières. L'histoire des Hébreux qui avaient finit par sortir d'Egypte après 430 ans d'esclavages.

Pour se perdre pendant 40 ans dans le désert avant d'arriver en Israël...

L'année prochaine à Jérusalem.

Sauf que Nathan n'avait pas bien estimé l'heure du début du Seder et il était en avance.

— Nathan ! fit joyeusement Déborah en ouvrant la porte.

Tous les regards se tournèrent vers lui, il évita celui de son père. Il n'était pas question qu'il lui dise bonjour. Il n'était pas question qu'il lui adresse la parole. Il n'était pas question que leurs regards se croisent.

Nathan salua ses frères, ses cousins, ses cousines, qu'il n'avait pas vu depuis un an.

— C'est bien que tu sois venu, lança Daniel.

Nathan hocha la tête. Attendant avec impatience que le Seder commence, finisse, qu'il mange un peu et qu'il parte avant le dessert...

Peine perdu. Daniel, Déborah, Léa, sa grand-mère, lui chantaient tous la même chanson.

Va dire bonjour à ton père !

Nathan voulait rien savoir, il manqua de partir, ses frères et Roni l'en empêchèrent au dernier moment.

Tu peux pas faire ça à Mamie...

Nathan resta. Ecouta son petit cousin poser les quatres questions de Ma Nichtana. Bu du vin, mangea de la matza, des herbes amères. Puis le dîner qui ne contenait pas de levain.

Sa grand-mère et sa tante sortaient les gâteaux casher lépessah du réfrégirateur quand Nathan entra dans la cuisine.

— Je vais y aller Mamie...

Le regard de sa grand-mère se posa sur lui. Un regard de marocaine qui avait vu des joies et des peines. Le soleil de Casablanca, la traversée de la Méditerranée, Marseille sous la pluie un matin d'hiver de 1954. Un mariage en blanc à 20 ans, 9 enfants.

L'enterrement de son mari, le petit dernier serré contre sa poitrine.

— Tu manges pas le dessert ?

Il secoua la tête. Soutenant comme il pouvait le regard de sa grand-mère.

— Il faut que j'y aille... Je viendrais te voir.

La réponse claqua comme le fouet des Egyptiens.

— Oui, bien sûr, comme l'année dernière !

Nathan avait promis de revenir la voir. Il n'était pas venu. S'était contenté de téléphoner. Mais ça ne suffisait pas à Anna. Au téléphone, elle ne pouvait pas le serrer dans ses bras.