Chapitre 11: Aller de l'avant

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La barbare se sentait si misérable qu'elle ne pouvait même plus se morfondre.
Raya décida de rester muette, sachant que rien de ce qu'elle pouvait dire ne changerait la situation. Bélial resta là, immobile,déversant ses dernières larmes dans un silence qui aurait troublé les dieux eux-même. Les heures passèrent, et les premières lueurs de l'aube commençaient à filtrer à travers l'ouverture à la surface.
Puis, alors que Raya espérait que son amie avait fini par s'endormir, cette dernière se redressa et fixa le plafond de la salle de ses yeux vides, toujours à genoux. Se demandant ce qu'elle allait faire, l'esprit fut interrogé par le démon.

– Dis, tu l'as entendu, non ? murmura la démone.

Hein ? Mais de quoi...

– Il a bien dit où ils allaient, non ? C'est où ?

Raya hésita. Elle se réjouissait de voir que Bélial reprenait du poil de la bête, mais elle n'aimait pas la direction que prenait la conversation.

– Où ? hurla Bélial.

...Qalb Alsahra... C'est la capitale de Taouy, le pays au sud d'ici...

– Au sud...

Bélial se leva en titubant un peu. Elle était épuisée, aussi bien physiquement que mentalement, mais elle refusait de se donner le temps de se reposer. Elle se traîna vers la sortie, montant chaque marche comme si elles lui demandaient un effort surhumain.

Attends, tu vas quand même leur courir après dans l'état que tu es ? Tyrian t'a battu seul, et tu voudrais les avoir tous les deux ? Ils ont sûrement d'autres alliés avec eux, et ils seront peut être plus forts que les guerriers qu'on vient de voir! Tu n'es pas assez forte pour...

– Je fais quoi alors ? s'énerva la barbare avec hargne. Je peux pas les laisser s'en tirer comme ça ! Ils ont tué tout le monde ! Ils ont sali notre honneur ! Et tu voudrais que je les laisse tranquilles ?

Bien sûr que non ! Mais on sait où ils seront dans trois mois, il t'en faudra beaucoup moins pour y aller ! Tu peux déjà te donner le temps de te reposer ! Après, tu auras besoin d'alliés...

– Quels alliés ? s'exclama Bélial en écartant les bras. Si t'as pas capté, je suis la dernière encore en vie !

Tu te souviens des aventuriers que tu affrontes parfois ?

– De plus grosses mauviettes que les gars en armure ! Et alors ?

Voyant l'étendue de la tâche qui l'attendait, Raya choisit ses prochains mots avec soin...

C'est vrai... Mais comme ils étaient engagés par de petits paysans, ils ne devaient être que des débutants... Les plus forts d'entre eux n 'acceptent que des quêtes bien payées...

– De quoi tu me parles, là ? s'impatienta la brute des montagnes.

Raya se serait bien tiré les cheveux si elle le pouvait.
Comment expliquer la notion d'argent à un barbare pour qui les négociations se faisaient surtout avec ses poings ?

J'expliquerai cette partie plus tard... Pour faire simple, tu n'as pas encore rencontré d'aventuriers qui étaient vraiment doués. Si tu fais ce que je te dis, tu devrais pouvoir en engager pour qu'ils t'aident dans ta quête.

Bélial fronça les sourcils, perdue dans ce flot d'informations.

– Quête ?

Oui. C'est une façon de décrire ce que tu veux faire. Bon, la description complète est beaucoup plus longue, mais ça ira pour le moment...

– Et tu veux que je les trouve où, ces aventuriers ? Dans le cul d'un orque ?

Vu leurs habitudes, je ne serais pas étonnée... Plus sérieusement, il y a une ville à trois jours de marche à l'est d'ici. Elle est mieux défendue que les villages des environs, c'est pour ça que vous l'avez ignorée jusqu'à maintenant. Elle s'appelle Rodian, et elle est assez grande pour avoir une guilde d'aventuriers. C'est là bas que tu pourras en trouver. Ça te fera un petit détour, mais je te conseille d'y aller en premier. Il est dangereux de voyager seule, surtout sur une telle distance !

Arrivée en haut des marches, Bélial s'immobilisa, plongée dans ses pensées. Le vent et les rayons du soleil berçaient son corps endolori, comme s'ils tentaient de la réconforter après son épreuve sous terre. Une forte odeur de mort commençait à imprégner l'endroit, mais celle ci ne la dérangea pas. Puis, après ce qui pouvait sembler être une éternité, Bélial prit une décision.

– Si tu penses qu'ils pourront m'être utiles, je partirais demain pour Rodian. Je vais me préparer et me reposer en attendant.

Bien qu'elle aurait voulu qu'elle se repose plus longtemps pour vraiment récupérer de ce qui venait de lui arriver, Raya était soulagée d'avoir réussi à la raisonner.

Comme si son corps bougeait de lui même, Bélial se mit à arpenter son village. Elle ne s'occupa pas des corps qui le jonchaient, respectant une des plus vielles coutumes de Sombresang : tout guerrier qui tombe au combat ne reposera en paix que là où il est mort.
Bélial parvint à rejoindre sa maison, et s'affala de tout son long sur son lit, s'étant endormie avant que sa tête ne touche son oreiller.

N'importe qui d'autre aurait été étonné de la voir s'endormir aussi facilement dans cette situation, mais son amie la connaissait assez pour s'y attendre. Bélial vivait dans le moment présent, ressentant toutes ses émotions immédiatement et agissant dessus.

Même si son monde venait d'être ravagé, les pensées négatives qu'elle avait ressenties à ce moment là n'avaient maintenant plus autant d'emprise sur elle. Elles étaient encore là et pouvaient s'intensifier à tout moment, mais elles étaient actuellement enfouies au fond de sa conscience.
Raya savait que Bélial avait besoin de faire son deuil convenablement, mais elle comprenait qu'elle ne s'en donnerait pas le droit tant que sa mission ne serait pas accomplie.

Espérant que tout se passerait pour le mieux, Raya fit une liste des choses qu'elle devrait demander à Bélial de faire pour lui faciliter son voyage.

***

Le lendemain, alors que l'aube ne naissait pas encore, Bélial était déjà éveillée, se préparant pour le départ. Cela impressionna Raya qui ne l'avait jamais vu se lever avant que le soleil soit déjà bien haut dans le ciel.
À la lueur d'une torche, Bélial vérifia le contenu de son sac de voyage et de ses poches en suivant les instructions de Raya. Une fois cela fait, elle le mit sur son dos et poussa le rideau de sa maison pour ce qui lui semblait être la dernière fois.
Avec une boule dans la gorge, la démone marcha d'un pas résolu vers l'entrée du village, son regard fixé droit devant elle, moins par détermination que pour éviter de poser son regard sur les corps inertes des siens sur le sol.
Une fois arrivée à la sortie, elle s'arrêta, scrutant l'horizon qui lui tendait les bras. Elle se retourna pour adresser une ultime pensée à tous ceux qu'elle laissait derrière elle, leur faisant le serment de les venger, peu importe le prix qu'elle aurait à payer. En son fort intérieur, Raya leur jura qu'elle ne la laisserai pas aller aussi loin.

Enfin, ce fut le moment fatidique. Tournant le dos à tout ce qu'elle avait jamais connu, la jeune femme se mit à courir.

Elle qui avait pourtant l'habitude de voyager ainsi, elle avait l'impression que ses jambes étaient devenues plus lourdes, que chaque pas se faisait plus dur à réaliser. Mais elle refusa de s'arrêter, sachant qu'elle ne pourrait plus partir si elle cédait maintenant.
Bélial n'avait pas d'autre option que d'aller de l'avant, pour les siens qui ne le pouvaient plus. Elle laissa une dernière larme couler de ses yeux, qui scintilla ensuite en l'air derrière elle, comme si elle venait d'abandonner sa tristesse. Affirmant à nouveau sa volonté, elle accéléra, en sentant un poids s'envoler.
Elle arriva bien vite dans les plaines, où elle continua de courir.

Ce fut ainsi que le voyage qu'elle avait attendu toute sa vie débuta. Il ne commençait pas comme elle l'avait désiré, mais surtout, elle n'avait pas encore la moindre idée de jusqu'où il la mènerait.

Déicide - Volume 1 - Défier le destinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant