Chapitre 51: Port-Écume, l'azurée (Partie 2)

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Nospade se gratta la barbe un moment, avant de soupirer et de mettre de côté sa bouteille.

– Crois moi, tu ferais mieux de foutre le camps tant que tu le peux... Les choses sont plus graves que tu le penses... Si ton but est de te débarrasser des vauriens qui ont pris la ville, tu ne trouveras aucun allié ici... Port-Écume n'est plus que l'ombre de ce qu'elle était, et toute la bonne volonté du monde n'y peut rien...

– Il est vrai que je suis venu pour ces forbans, mais je n'en ai encore vu aucun en ville...

– C'est normal, vu l'heure... S'ils ne sont pas sur leurs navires ou à la résidence du comte, c'est qu'ils sont dans une taverne ! Ils ne prennent pas le temps de patrouiller la ville, les gardes s'en chargent pour eux... Non pas que ça leur serve à grand chose...

– Vous avez bien dis la résidence du comte ? s'exclama Diro en se levant à son tour. Vous voulez me dire que le comte s'est allié aux pirates ?

Nospade dévisagea tour à tour ses interlocuteurs, comprenant à quel point ils étaient encore dans le noir. Il se frotta les yeux en soupirant, essayant d'éclaircir suffisamment ses esprits pour allumer leur lanterne.

– Kalar n'est pas l'allié des pirates... C'est lui qui leur donne leurs ordres...

Abasourdis, Sieg et Diro échangèrent un regard d'incompréhension. Ils connaissaient assez le comte Kalar pour savoir qu'il ne fricoterait pas normalement avec des pirates, alors l'annonce qu'il les employait lui même ouvertement pour terroriser sa ville les plongea dans une perplexité absolue.

– Mais... Comment ? Pourquoi ? demanda Sieg. Qu'est ce qui a bien pu arriver pour que le comte décide d'engager des pirates ?

– Nous n'en sommes pas sûrs... marmonna Nospade. Tout ce que je sais, c'est qu'il y a quatre mois, une petite flotte de navires a accosté à Port-Écume. Ils arboraient des drapeaux marchands, alors nous ne nous sommes pas méfiés, même si c'était bizarre. Leur chef a demandé une audience au comte qui a accepté de le voir. C'est à partir de là que les choses ont commencé à changer...

Nospade se tira péniblement de son fauteuil pour faire quelques pas vers une fenêtre. Malgré les volets, il pouvait tout de même discerner vaguement ce qui se passait dans la rue éclairée par le crépuscule. Il s'appuya contre l'encadrement de la fenêtre et repris son histoire.

– Immédiatement après leur rencontre, Kalar a décrété la loi martiale... C'est à ce moment là que les nouveaux venus ont commencé à montrer leur vrai visage... Ils ont pillé le port et les quartiers environnants... Par contre, ils n'avaient presque pas fait de victimes... Au début, nous n'avions pas compris pourquoi...

– Et j'imagine que les gardes n'ont pas essayé de les arrêter... commenta l'écarlate.

Nospade hocha la tête, affirmant qu'ils avaient eu l'ordre de fermer les yeux sur les actions des pirates. Certains gardes avaient refusé d'obtempérer, mais ils n'avaient pas été assez nombreux pour faire face à l'assaut des forbans. Puis, ils avaient fini par rentrer dans les rangs.

– Je ne comprends pas pas... s'inquiéta Diro. Pourquoi sont ils encore ici ? Et que veulent-ils, à la fin ?

– Ce qu'ils veulent, c'est ce que veut chaque salopard de pirate... jura Nospade. Des richesses, de l'alcool et des femmes... S'ils sont restés ici, c'est pour faire de cette ville leur port d'attache. Et ces vauriens se sont même appropriés nos navires pour agrandir leur flotte... Ils ne sont pas assez fous pour s'attaquer à d'autres ports de Danatal, car ils essayent de faire le moins de vagues possible, mais ils s'en donnent à cœur joie quand ils croisent la route de navires marchands, qu'ils se rendaient à Port-Écume ou non... J'ai même entendu dire qu'ils étaient allés jusqu'aux villes côtières d'Etsep au sud, et de Borodas au nord pour les dévaster...

– Et personne n'a essayé de les arrêter ? s'énerva l'épéiste en frappant la table basse de ses poings. Je peux concevoir que les gardes aient été tiraillés entre leurs ordres et leur devoir, mais ce n'est pas le cas de tout le monde ! Et les aventuriers ? La guilde locale s'est tourné les pouces en regardant les pirates piller la ville ?

Nospade resta silencieux un moment, la tête baissée. Juste quand Sieg commençait à penser qu'il venait de s'endormir, Nospade reprit la parole d'une voix grave.

– Bien sûr que les aventuriers se sont dressés contre les pirates... Du moins, au début... Mais très vite, ils ont été réduits à l'état d'impuissance...

– Impuissance ? s'étonna Diro.

– Oui... Beaucoup d'entre eux se sont laissé achetés par les pirates... Au fonds, beaucoup d'aventuriers ne choisissent ce métier que pour gagner de l'argent, et les pirates pouvaient les payer grassement... Les aventuriers qui sont passés du côté des pirates ont soit rejoint leur équipage, soit été engagé pour encadrer les citoyens aux côtés des gardes...

– Mais les aventuriers ne sont pas tous... commença Sieg.

– Oh, certains ont résisté... Ils avaient même commencé à monter une petite résistance... Mais ils n'ont pas fait long feu...

– Ils se sont fait écrasés par les pirates?

– C'est le cas d'une poignée d'entre eux... Mais la plupart d'entre eux se sont fait massacrés par les gardes et les habitants. Même les employés de la guilde leur ont planté un couteau dans le dos...

Sieg écarquilla les yeux. Il ne comprenait pas pourquoi des aventuriers qui se battaient pour les habitants avaient été trahis par ceux qu'ils avaient tenté de protéger. Et même s'il ne portait pas la guilde dans son cœur, l'épéiste savait qu'elle prenait soin des aventuriers à sa charge. Cette histoire toute entière ne faisait aucun sens.

Une terrifiante pensée s'immisça alors dans l'esprit du bretteur. Il venait enfin de comprendre ce qui le dérangeait tant depuis qu'il était arrivé en ville. De tout les sons absents, un seul soulignait parfaitement la détresse des résidents par sa disparition.

– Dîtes moi, Diro... articula lentement Sieg d'une voix tremblante.

– Qu'y-a-t-il ? demanda Diro qui n'arrivait toujours pas à croire l'histoire qu'il venait d'entendre.

Sieg jeta un regard horrifié de côté vers son compagnon de voyage.

– Est ce que vous vous souvenez avoir vu un seul enfant en venant ici ?

Diro le regarda sans comprendre où l'écarlate voulait en venir, mais une idée se dessina peu à peu dans son esprit.

– Non... Mais... Ce doit être juste... Qu'ils sont enfermés chez eux... Oui, c'est ça ! Leurs parents ne doivent pas vouloir que...

– Vous en connaissez beaucoup, des enfants qui supporteraient de rester enfermés des mois durant sans voir leurs amis ? Qui resteraient bien sagement chez eux sans essayer de s'éclipser pour jouer dehors ?

Dino devint blême en comprenant ce qu'insinuait Sieg. S'il avait raison, toutes les incohérences dans le récit qu'ils venaient d'entendre prendrait tout son sens, mais cela semblait tout de même invraisemblable.
Nospade se retourna enfin pour faire face à ses invités qui redoutaient plus que tout de voir leurs craintes confirmées.

– Quand ils ont attaqué le port le premier jour, ce n'était pas que nos richesses qu'ils nous ont pris... Ils ont enlevé tout les enfants qu'ils ont pu trouver... Les gardes en ont fait de même... Et depuis, ils ont continué à les enlever, allant jusqu'à s'introduire chez eux pour les arracher à leurs familles... Voilà pourquoi nous avons arrêté de résister...

Un silence aussi pesant qu'une tombe écrasa Sieg et Diro qui réalisaient enfin pourquoi la situation s'était à ce point dégradée.
Pourquoi les gardes récalcitrants avaient fini par se ranger du côté du comte.
Pourquoi les employés de la guilde s'étaient retournés contre les aventuriers, et qu'ils avaient certainement envoyé de faux rapports aux autres guildes du pays.
Pourquoi Nospade leur avait dis qu'ils n'auraient aucun allié.

Parce que les habitants de Port-Écume n'avaient pas d'autre choix.

Déicide - Volume 1 - Défier le destinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant