Chapitre 41: Héritage criminel (Partie 1)

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Les ombres de Syndras s'étendaient avec le déclin du soleil, mais la foule dans les rues n'en était pas moins épaisse. Cela avait ralenti la progression du groupe de Maurice qui se dirigeait vers le lieu de leur rendez-vous. Ils faisaient de leur mieux pour ne pas attirer l'attention sur eux, sachant que de nombreux gardes inventaient toutes les excuses possibles quand ils repéraient des habitants de l'Abri pour les décourager de marcher dans la lumière.

Ils arrivèrent au pied de la Foi, devant une grande battisse délabrée. On pouvait encore voir des traces de la splendeur de l'ancien théâtre qui fut fait jadis l'un des joyaux culturels de Syndras, mais cela soulignait plus encore son déclin, sa beauté s'effaçant sous la poussière du temps et les pillages des hommes.
Sieg et Maurice entrèrent sans crainte à l'intérieur, mais leur escorte fut plus réticente, se demandant si les ruines ne risquaient pas se de s'effondrer sans prévenir. Leur chef leur hurla de ne pas traîner, car sa colère s'ils ne bougeaient pas, elle, n'avait rien d'hypothétique.
Mais l'écarlate se montrait plus prudent que sa démarche confiante indiquait. Il examina chaque recoin du grand hall qu'ils parcouraient, non seulement pour y repérer d'éventuels pièges, mais aussi pour admirer ces vestiges.
Le groupe contourna un lustre rouillé qui dominait le centre de la pièce, gisant comme un animal mort dans son sombre terrier. Laissant derrière eux quelques hommes pour garder l'entrée, ils pénétrèrent dans le cœur de l'infrastructure.

Ils marchèrent le long de l'allée séparant les rangées de sièges qui s'étendait jusqu'à la scène. Sieg regretta de ne pas être au sommet de sa forme en notant la présence de balcons d'où pourraient apparaître des archers embusqués. Il n'eut pas le temps de partager ses craintes avec Maurice, apercevant sur la scène ses rivaux qui les attendaient de pied ferme.

Le bretteur reconnut Wilma, une large femme portant une robe de soirée, qui cachait son visage derrière un éventail où il savait qu'elle gardait des lames. Sa capacité à tuer ses adversaires avec des mouvements gracieux inattendus au vu de son physique était connue et crainte dans tout l'Abri.
Le visage d'abord maussade de Wilma s'illumina d'un sourire en remarquant la présence de Sieg, et fit deux pas dans sa direction en écartant les bras.

– Mais que vois-je ? s'exclama Wilma. Le seul trésor dont je n'ai encore jamais réussi à m'approprier ! Mes yeux et oreilles m'avaient dit que tu étais de retour en ville, mais ça me blesse de te voir aux côtés de ce vieux renard... Surtout à la fin de son règne !

Sieg empêcha Maurice de répliquer, ne voulant pas laisser cet échange traîner en longueur avec un concours d'insultes dont les deux patrons du crime avaient le secret.

– Que voulez-vous, un simple concours de circonstances m'a mené à son bar quand vos hommes ont transmit votre invitation ! résuma Sieg. Je m'étais dis que ce serait une excellente occasion pour moi de m'extasier devant votre beauté de nouveau !

Wilma gloussa en descendant de la scène et toucha Sieg du bout de son éventail.

– Toujours aussi charmeur, mon garçon. Que dirais tu de travailler pour moi ? l'invita-t-elle. En plus d'une paye conséquente, tu auras accès à mon réseau d'informations pour retrouver... Palama ?

– Non, c'est Hara, espèce de gro...

– Saga ! cria Sieg bien fort pour couvrir l'insulte de Maurice qui aurait été de trop. Comme toujours, vos offres sont d'une générosité sans bornes, mais je sais déjà où mener mes recherches. Il y a cependant une chose que je souhaiterais vous demander une fois ce petit conclave achevé, quel qu'en soit l'issue...

– Je serais toute à toi une fois que j'aurais pressé cette relique pour tout ce qu'elle a...

Maurice posa un regard noir sur Sieg qui lui fit un clin d'œil rassurant quand Wilma leur tourna le dos. Comprenant qu'il essayait d'amadouer son adversaire pour mieux la berner, il laissa son jeune ami mener la danse comme il l'entendait.
Ils s'assirent à une table installée tout spécialement pour la réunion, chaque camps se faisant face. Zanita et le fils de Maurice restèrent debout derrière leur chef et surveillèrent les actions des hommes de Wilma.

– Bien commençons. Si j'ai organisé cette petite rencontre, c'est pour parler de l'équilibre actuel entre les quatre factions... entama Wilma.

Sieg acquiesça. L'Abri était gouverné par quatre groupes de criminels qui étaient en permanence en compétition pour gagner plus de territoires.
Après avoir cuisiné Maurice avant de venir, il avait fini par apprendre que ce dernier avait été déserté par un tiers de ses forces au cours des trois derniers mois, perdant par la même occasion des territoires à ses rivaux.
Tout le monde voyait ceci comme la preuve que Maurice était devenu trop faible pour garder sa main mise sur sa part de l'Abri, et seuls ses plus loyaux lieutenants étaient restés à ses côtés.

– Regarde les choses en face, vielle canaille, tu as fait ton temps... présenta Wilma avec un sourire malicieux. Personne oserait dire que tu n'as pas été une figure importante de notre communauté il y a dix ans, mais ce n'est plus le cas... Je penses que tu tiendras encore un mois avant que ton empire s'écroule. Mais je te propose de quitter le jeu la tête haute...

Wilma replia son éventail et frappa deux fois sur la table. Un de ses hommes apporta un document qu'il plaça devant Maurice.

– Si la situation venait à s'éterniser, les trois autres factions, la mienne inclus, vont vous mettre en pièce, toi et ton empire. Mais plutôt que le tiers de ce que tu possèdes encore, je préférerai encore tout obtenir. Enfin, mis à part ton bar que je te laisse. Bien que je l'aime beaucoup, tu as plus que mérité d'y couler tes vieux jours, sous ma protection ! En plus, ton établissement serais exempté de taxes ! Vois ça comme une marque de mon respect pour tout ce que tu as accompli, vieille carne !

Elle invita Maurice à étudier le contrat présenté, Sieg regardant par dessus son épaule. Bien qu'il voulait en finir au plus vite avec ces négociations, le bretteur se retint de conseiller à son ami d'accepter cette proposition.
Le connaissant, il préférerai incendier son royaume lui même que de le céder à un autre sous la menace. De plus, il avait horreur que l'on pense qu'il avait besoin de la clémence des autres, encore moins de leur protection. Il finit la lecture du contrat en grognant et le reposa sur la table avant de le frapper du doigt avec agacement.

– Parce que tu me crois vaincu ? rugit Maurice. Les gars qui m'ont abandonné étaient des incapables que j'allais foutre dehors un tôt ou tard, et les seuls territoires que j'ai perdu me coûtaient plus à garder que ce qu'ils me rapportaient. Vous, les petits jeunes, vous ne voyez pas plus loin que le bout de vos nez ! J'ai pas besoin de poids morts dans mes pattes, et je me suis bien amusé, en vous regardant vous battre comme des chiens pour un os pourri ! Un mois ? Ha ! Je serais encore là quand tu te feras égorgée par un de tes gars qui en aura eu marre d'attendre que tu fasses une crise cardiaque, boule de graisse difforme !

Sieg grimaça en voyant la réaction de Wilma qui avait horreur que l'on critique son physique.
Il savait d'ailleurs que Maurice bluffait en partie. Certains des territoires qu'il avait perdu étaient rentables, et ses hommes connaissaient certains détails de ses opérations, aussi incompétents eussent ils été. Il n'était pas hors course, comme le disait son interlocutrice, mais il n'était pas non plus en état de faire jeu égale avec ses rivaux, surtout s'ils alliaient contre lui.
Mais l'épéiste n'eut pas le temps de prendre la parole, car le volcan qu'était Wilma explosa, virant au rouge, un veine battant sur son front de façon menaçante.

– Qu'est ce qu'elle vient de dire, la vieille bique ?

– La vieille bique a dis qu'elle, au moins, n'avait pas peur de dévaler une pente comme un tonneau si elle tombait par terre !

– Non, tu serais juste sûr de te briser la hanche !

– Ah, tu le prends comme ça, petite...

Sieg ôta son chapeau et se pinça le nez, yeux fermés. Il savait que les choses avaient eu une forte probabilité de tourner ainsi, mais il avait espéré être chanceux.
Il échangea un regard avec les hommes de Wilma qui étaient autant désemparés que lui. Ça ne donnait jamais une bonne image d'un groupe quand son meneur aboyait sur les autres comme un chien mal dressé.

Déicide - Volume 1 - Défier le destinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant