Bonnepioche réserva une salle privée dans la taverne du Flot incessant, où s'installèrent ses invités. Il était bien trop tôt pour l'alcool, aussi ils commandèrent des cafés pour rester éveillés. La serveuse regarda bizarrement Bélial quand celle ci demanda un pot de confiture avec un supplément de sucre, mais n'ignora pas sa commande. Quand ils furent seuls, le capitaine croisa ses doigts sous son menton et s'accouda à la table.
– Bon ! J'ai accepté de vous prendre à bord parce que j'ai des dettes, directes ou non, envers deux d'entre vous... expliqua-t-il. Cependant, je voudrais savoir pourquoi vous voulez tellement entrer dans un pays ravagé par la guerre civile... Je sais que Sieg ne peut pas s'empêcher de courir vers le danger, tel une mite vers une flamme, mais ça ne veut pas dire que je ne suis pas inquiet. Est-ce que ça à voir avec Saga ?
... Est-ce qu'il y a une seule personne dans ce pays qui ne sait pas que Sieg traque Saga ?
– Et comment ! intervint Bélial, coupant l'herbe sous le pied de son partenaire. Ce connard a dis qu'il serait à... Qa... Qabara...
– Qalb Alsahra... lui souffla Farca.
– Ouais, ça ! On sait qu'il y sera, heu...
– Dans à peu près deux mois... l'aida Sieg.
– Et vu que c'est pas la porte d'à côté, on a pas trop de temps à perdre ! enchaîna la barbare avec plus d'aplomb, maintenant que les points les plus compliqués étaient exposés. Je sais qu'il y sera, parce qu'il me l'a dis quand je l'ai croisé !
Bonnepioche leva un sourcil, n'ayant jamais entendu quelqu'un d'autre que Sieg affirmer avoir rencontrer son énigmatique ennemi. Cette information conforta le marin dans l'idée que l'écarlate ne chassait pas des chimères.
– Très bien, je comprend. Sachez juste que je ne pourrais pas vous amener directement là bas... Voyez donc ici...
Bonnepioche tira de son sac une carte qu'il déplia sur la table. Elle représentait le continent Seralin qu'avaient quitté Bélial et les autres deux semaines plus tôt. Le capitaine désigna les côtes de Taouy, qui s'étendaient sur tout le sud du continent.
– Un bien grand pays que voilà ! exposa Bonnepioche. Dommage que c'est surtout du sable avec pas grand chose entre les villes côtières et les oasis... En partant du continent Legenia où nous nous trouvons, nous ne pouvons cependant rejoindre que la côte est, alors que Qalb Alsahra se trouve à l'ouest...
Bélial demanda pourquoi il ne pouvait pas directement les amener à la capitale, indiquant qu'il était possible de longer les côtes du pays pour l'atteindre. Bonnepoche soupira et désigna la mer au sud du continent.
– Plus bas, ce sont les mers des trépassés qui s'étendent... Une zone instable, constamment déchaînée. On raconte que la tempête qui s'y déchaîne sans discontinuer est causée par les dernières bribes de l'aire du Chaos dans notre monde... Personne a jamais su le prouver, parce que les personnes qui y sont allés pour vérifier n'en sont jamais revenus...
Même moi, je ne saurais pas dire si ces rumeurs sont vraies sans y aller en personne... Tu ne veux vraiment pas te risquer à y aller...
– Après, il est vrai que normalement, on pourrait rejoindre la capitale en longeant la côte, comme tu viens de le suggérer, développa Bonnepioche. C'est d'ailleurs la voie maritime officielle, et elle est assez sûre, vu que les taouyens ne plaisantent pas avec la sécurité. Mais c'est ça qui nous pose problème, justement...
– J'imagine qu'avec la guerre civile qui divise le pays, les autorités n'aiment pas voir des navires étrangers flotter le long de leurs côtes... marmonna Sieg qui s'était attendu à cela.
– Exactement ! Chaque camps redoute que l'autre essaye de l'espionner en se faisant passer pour des marchands d'un autre pays ! En plus, la famille royale redoute que leurs voisins ne décident de profiter de l'instabilité du pays pour les envahir... Griganar a beau commercer avec Taouy, personne ne doute que cette nation d'opportunistes n'hésiterait pas à se jeter sur le pays du sable s'il fait preuve de trop de faiblesse...
Tandis que les trois autres hochaient la tête à l'écoute de cette analyse, Bélial se grattait la tête, ne suivant pas ce qui lui était expliqué. Elle considéra cependant en voyant l'expression de l'écarlate que la raison donnée était suffisante pour expliquer pourquoi ils ne pouvaient pas naviguer jusqu'à sa destination, et n'aborda plus le sujet.
– Après, ce n'est pas comme si vous débarquer à Taouy sera aisé... continua Bonnepioche. Vu que les passagers n'ont pas le droit de débarquer sans une autorisation spéciale du gouvernement local, vous devrez donc rejoindre la côte avant que nous arrivions à port...
– Vous nous suggérer donc d'employer Ramia et Vania, n'est ce pas ?
Bonnepioche hocha la tête en souriant à Sieg après son commentaire.
– Exactement ! Ils pourront vous accompagner sous le couvert de la nuit jusqu'à terre ! Tu les connais bien, moussaillon, ils pourront vous transporter avec tout le matériel dont vous pourriez avoir besoin pour rejoindre la ville la plus proche !
– Notre meilleure option serait d'arriver quelques kilomètres au nord de Rimal Albahr... exposa Sieg en se tenant le menton. De là, nous pourrons récupérer les informations nécessaires à la traverser du désert...
– Question : Qui Sont Ramia Et Vania ? interrompit Adam en levant une main.
– Je voudrais le savoir, moi aussi... ajouta Farca. Quel sorte de personnes pourrait vous aider à rejoindre la côte sans vous faire prendre ?
– Vous ? répéta Bonnepioche en dévisageant la sang-mêlée, sourcils froncés. Dois-je comprendre que vous ne ferez pas parti du voyage ?
– Ah, euh... Oui, en effet... répondit maladroitement Farca. Je voyage actuellement pour prouver que les recherches de ma mère étaient fondées, et ce n'est pas en me faisant écarteler pour espionnage dans un pays en guerre que je vais y parvenir...
Le visage du capitaine se décrispa, ne voyant aucune raison de critiquer la décision de l'alchimiste.
– Ah, je vois ! Si c'est pour votre mère, je comprends... Bon, pour vous répondre, Ramia et Vania sont des dauphins émeraude. Ils nagent avec l'Os à Moelle depuis des années, et ils nous ont tirés de bien des mauvais pas ! En plus de repérer les dangers sous-marins, ils dénichent les bancs de poissons comme rien d'autre !
– ... Des dauphins...
– Absolument ! Tiens, ça me fais penser à une...
– Des putains de dauphins...
Perplexe, Bonnepioche regarda Farca sauter de sa chaise, attraper le col de Sieg et tirer son visage à elle pour lui parler à voix basse sans masquer son inquiétude.
– Je ne sais pas lequel de vous deux est le plus dérangé... murmura l'alchimiste. L'estropié qui navigue sur les mers avec une ménagerie, ou toi qui prend tout ça comme si c'était normal...
– Ah, je vois ! ricana Sieg. J'imagine que tu n'as jamais entendu parler de la légende d'Anilamia !
Adressant le genre de regard que l'on réserve aux attardés à Sieg, Farca grinça sa réponse.
– Quoi, l'île aux animaux intelligents ? C'est une histoire pour enfant qui...
La naine se mordit la langue. Pendant l'espace d'un instant, elle en avait oublié qu'elle parlait à un guerrier historique de plus de quatre mille ans qui entamait une relation avec une démone possédée par une déesse ancestrale. Comparé à cela, un simple comte pour enfant devenait plus que plausible.
– Je n'ai jamais eu la chance d'y aller personnellement, expliqua Sieg, mais après avoir vu l'équipage de l'Os à Moelle, je ne peux pas douter du fait que le capitaine y soit aller...
– Tout juste !
Sieg et Farca sursautèrent, surpris par l'intervention de Bonnepioche qui semblait s'être matérialisé à côté d'eux en un instant. Le marin ria à gorge déployée et donna une claque dans leurs épaules.
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Déicide - Volume 1 - Défier le destin
FantasyElle n'avait jamais cru que son aventure débuterait ainsi. Bélial avait toujours voulu découvrir le monde, mais ce fut dans le sang que la démone fut forcée de quitter son village barbare pour des contrées lointaines, accompagnée seulement d'un espr...