Chapitre 88: Au fonds des ténèbres (Partie 2)

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Sieg écarquilla les yeux en fixant l'homme qui affirmait avoir usé l'objet de leur quête au point de le détruire. Farca se cogna la tête contre une statue en insultant les dieux en nain. Bélial se retint péniblement de baffer le musicien défraîchi.

– Je suis désolé, je sais que vous veniez en cherchant un... s'excusa Ahmés. Mais si tout ce que vous vouliez, ce sont des informations, je pourrais vous aider ! Chaque mot est gravé dans ma mémoire ! Demandez, et je me ferais un plaisir de vous répondre !

– Cool ! s'exclama Bélial. Alors, on cherche la porte des Déchus de Taouy, et...

Les braseros s'éteignirent, plongeant la salle dans une pénombre mortifiante. Sieg alluma sa lame, mais sa lumière sembla être dévorée par l'obscurité, l'empêchant d'éclairer plus loin que la garde de l'arme. Devant eux, une forme squelettique titanesque de laquelle se dégageait des ondes magiques si palpables que même les kramars pouvaient ressentir les menaça d'un doigt osseux.

– POUR QUELLE FOLIE CHERCHEZ VOUS CE POUVOIR MAUDIT ? JE NE VOUS LAISSERAIS PAS NOYER MON PAYS SOUS LE CHAOS ET LA DESTRUCTION !

Vous savez, il n'est pas trop tard pour partir...

Sieg recula face à l'apparition, mais sa partenaire fut plus courageuse. Elle se planta devant l'apparition et la regarda droit dans les yeux sans trembler.

– T'inquiètes pas pour ça, je laisserais pas ton pays souffrir comme mon village !

L'entité sembla hésiter et se pencha vers la barbare.

– TON VILLAGE ?

– Ouais... marmonna la jeune femme en baissant les yeux, poings serrés. Un connard de mage a massacré mon clan pour ouvrir la porte de mon village... Je le cherchais au début pour me venger, de lui et du traître nous a abandonnés, mais maintenant...

Elle releva ses yeux scintillant de larmes et brillant d'une flamme qui subjugua la créature par sa beauté.

– Je connaissais pas le monde, avant ça... Je ne pensais qu'à mon clan, et je m'en foutais de ce qui pouvait arriver aux autres... Mais je suis partie, et j'ai rencontré un tas de personnes ! Certains étaient des connards, des enfoirés qui méritaient les beignes que je leur donnais, mais la plupart des gens avec qui j'ai parlé étaient supers ! Ils avaient tous un trucs qu'ils voulaient avoir ou protéger, des rêves qu'ils vivaient ou voulaient atteindre... J'ai appris beaucoup de trucs ! Mais Saga... Ce fils de pute... Oh, désolé, Sieg !

– Je ne me vexe pas, mon frère est un beau connard... soupira l'écarlate.

– Ton quoi ? s'égosillèrent ensemble Kasim et Hakim en fixant le bretteur.

– Ah, oui, vous ne le saviez pas, ça...

– Ce que j'essaye de dire, continua Bélial, c'est que le mage qui m'a tout pris n'a pas fini de massacrer des gens. Détruire des familles, faire pleurer ceux qui survivent... Et pour ça pourquoi ? Un truc qui fera encore plus de mal à tout le monde ? Je peux pas... Quand je pense à tout ceux que j'ai rencontré...

La démone serra son poing sur son cœur et plaida sa cause.

– Je serais toujours en colère avec lui... Je vais toujours vouloir le battre à mort et lui briser le crâne avec mes mains... J'pense pas que ma haine se calmera un jour... Mais là, c'est pas ça qui est important... Il veut tuer tellement de monde, refaire le cauchemar de Sombresang, causer tellement de malheur... J'peux pas le laisser faire... Il faut qu'on l'arrête... Alors s'teu-plaît, dis nous où est la porte, qu'on choppe Saga avant qu'il ne fasse plus de mal ! Si tu tiens à ton pays autant que moi j'aimais mon clan, on a besoin que tu nous le dises !

Le squelette ne put plus supporter le regard, tournant la tête pour lui échapper. L'obscurité se dissipa, révélant la forme humaine d'Ahmés qui pleurait. Il reprit son instrument et joua un air triste.

Cœur si pur que les pires vices ne peuvent teindre,

Âme courageuse qui chasse les tourments,

Entends mes mots et comprend comment atteindre

La porte du mal qui saurait même briser le firmament.

Le sang le plus noble de Taouy est l'inflexible gardien

Du pouvoir damné à jamais du passé maudit.

Au cœur des fleurs qui a toujours été sien

Il veille sur l'accès menant au portail interdit.

Bélial attendit la suite un instant avant de se tourner vers les autres...

– Quelqu'un a compris, parce que moi...

Toi et la poésie, alors...

– Le jardin du palais... décrypta Sieg. C'est là-bas que nous pourrons trouver la porte.

– Beau et intelligent ! Voilà un bien beau parti, monsieur...

– Sieg, répondit l'écarlate.

– Sieg... répéta Ahmés en regardant tour à tour l'épéiste et la barbare. Je vois... J'espère que vous saurez être heureux ensemble...

Ahmès traîna son luth derrière lui en se dirigeant vers sa tombe. Bélial l'arrêta en posant sa main sur son épaule.

– Tu vas faire quoi, maintenant ? Rester ici ?

– Je vous ouvrirais bien la porte pour sortir, mais c'est déjà fait... soupira le défunt. Je couvre toujours l'œil quand il se met à briller, je n'ai jamais pu laisser des gens mourir dans les pièges de ce tombeau sans rien faire... Je peux au moins leur donner une chance de s'échapper s'ils le veulent... Et pour ce qui est de partir, je ne le peux pas... Tant que les statues seront là, je ne peux pas sortir. Elles ont été créées pour résister aux sombres pouvoirs qui m'ont été conférés, je ne peux pas...

D'un revers de la main, Bélial brisa la plus proche statue. Ahmès fixa les fragments qui s'éparpillèrent au sol.

– Mais vous...

– Oups, ma main a glissé...

Un nouveau bruit de pierre brisée attira l'attention de la momie. Elle dévisagea Sieg qui regardait une statue tranchée en deux avec embarras.

– Quel empoté je fais ! Un geste fort malheureux de ma lame que j'avais portée à une telle chaleur pour une raison étrange...

Une explosion retentit plus loin. Tout le monde se tourna vers Farca qui se grattait la tempe.

– Ah ben mince, j'ai fait tomber une bombe... Il faut vraiment que je fasse attention...

Kasim et Hakim échangèrent un regard avant de hausser les épaules et travailler ensemble, pour renverser une statue. Le groupe cessa d'être subtil en dévastant le reste des statues. Ahmés observa la scène, voulant les arrêter, mais aucun des mots que son esprit hurlait dépassa ses lèvres. Quand le carnage fut terminé, il marcha vers le seuil de la porte et s'arrêta.

Fixant le sol, le musicien leva une jambe, et fit un pas dehors. Jubilant, il en fit un deuxième, puis un troisième avant de tomber à genoux. Son rire raisonna dans le tombeau, le son nuancé par des tremblements causés par ses pleurs. En levant la tête, il remarqua qu'un rayon de lumière déchirait les ombres de sa demeure. Pour la première fois depuis plus d'un millénaire, il voyait la lumière du soleil.

Ahmès avait si longtemps rêvé de sa liberté, de pouvoir quitter cette chambre sans y croire, que vivre cet instant lui semblait aussi réel qu'un mirage.

Il se retourna en sentant une main se poser sur son épaule et vit le sourire radieux de Bélial.

– Désolé pour la casse ! Mais maintenant, tu peux faire ce que tu veux !

Les larmes continuant de couler sur ses joues, Ahmès se releva et prit de nouveau la démone dans ses bras. Elle lui rendit la pareil, mais lui conseilla quand même de sortir sa tête d'entre ses seins s'il voulait la garder. Il se recula et avança dans la salle. Il regarda par la fente causée par Farca et se perdit dans l'admiration de l'astre diurne qui lui avait tant manqué.

Déicide - Volume 1 - Défier le destinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant