Chapitre 73: Singes de mer (Partie 2)

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Maintenant que la foule était moins dense, Bonnepioche remarqua la présence de Sieg et éclata de rire. Il s'approcha gauchement de lui en écartant les bras, et serra l'écarlate qui s'était penché en avant dans ses bras.

– Décidément, les bonnes nouvelles s'accumulent aujourd'hui ! Si on m'avait dis que je te reverrais ici, gamin !

Maintenant que je sais qui est Sieg, entendre quelqu'un l'appeler comme ça me fait bien marrer...

– Content de vous revoir, capitaine ! Et je dois dire que vous tombez bien ! J'aurais un service de taille à vous demander !

– Mon navire est le tien, moussaillon ! déclara Bonnepioche. Si t'as un port à rallier, nous t'y amènerons sans faillir !

– C'est vrai ? jubila Bélial. On peut aller à Taouy ?

Bonnepioche sembla enfin remarquer la présence de Bélial qui lui faisait de l'ombre. Il la dévisagea avant de lui répondre en souriant.

– T'es une amie de ce bon Sieg ? Alors oui, je peux vous conduire à Taouy ! Enfin, mon navire peut tremper dans ses eaux, et ils ne refuseront pas mes marchandises, mais pour ce qui est des passagers...

– Nous nous doutions bien que notre débarquement serait tous sauf... ordinaire... avoua Sieg en faisant un clin d'œil au capitaine qui explosa de rire.

– C'est rarement simple, avec toi ! Et pour ça qu'on t'adore ! Pas vrai, les gars ?

Une cacophonie de hurlements bestiaux et d'interjections de la part des perroquets explosa dans le port, agressant bien des oreilles. Bonnepioche s'inclina face au duo en ôtant son tricorne.

– L'os à Moelle est à votre disposition ! Nous pourrons partir d'ici une semaine !

Bélial grimaça en serrant ses poings. Sieg toussa et se pencha vers l'oreille du marin.

– Heu... Serait-il possible de partir plus tôt ? demanda l'écarlate. Disons que nous sommes quelque peu...

– Mais qu'est ce que c'est que ce foutoir ?

Le groupe se tourna vers le début du ponton où Farca observait avec incompréhension l'équipage de l'Os à Moelle travailler. Découvrir des primates portant grossièrement des vêtements humains et diriger un bateau fut un choc pour l'alchimiste qui n'avait pas pu s'empêcher d'élever la voix.

Bonnepioche fixa avec stupeur la sang-mêlée, comme s'il reconnaissait quelque chose en elle. Il passa devant Sieg qui comptait héler l'alchimiste, se retenant en voyant le marin marcher vers elle.

– Dites moi, Madame...

Surprise, Farca étudia le nain qui s'adressait à elle avec autant de respect. Il n'était pas rare que les autres nains reconnaissaient son métissage d'un coup d'œil, mais cela lui valait généralement d'être prise de haut et méprisée. Le comportement de Bonnepioche la déstabilisa tellement qu'elle ne répondit pas, laissant au marin la chance de continuer.

– Dites moi... Connaîtriez-vous Ambre Cerlune ? C'est juste... Que vous ressemblez à quelqu'un que j'ai connu, enfant...

Écarquillant les yeux, Farca resta sur la défensive. Adam, qui arrivait à son tour sur le ponton, remarqua ce qui se passait, et se demandait s'il devait intervenir ou non. Troublée, l'alchimiste répondit à la question avec humeur.

– C'est ma mère ! Je peux savoir comment vous la connaissez ?

Le visage du capitaine s'adoucit, des larmes commençant à perler dans sa barbe. Il attrapa Farca par les épaules et la regarda droit dans les yeux.

– Votre mère est la personne qui m'a donné le courage de quitter ma mine, il y a plus de trente ans ! Je n'étais encore qu'un bambin, mais je savais déjà à l'époque que ma place n'était pas sous-terre ! Mais je ne pouvais pas le dire à ma famille, personne l'aurait compris. Vous devez savoir comment c'est, avec les nains plus... traditionnels...

De vieux souvenirs défilèrent dans l'esprit de Farca, et un nom couvert de poussière émergea.

– Périn Bonnepioche ? Le troisième fils des Bonnepioche ? Celui qui s'est enfui et dont nous n'avions jamais retrouvé la trace ?

– Exact ! Votre mère a su m'écouter quand j'en avais besoin ! C'était l'une des rares humaines qui avaient le droit de vivre dans notre mine, son alchimie nous aidant dans nos efforts miniers ! Elle était d'une grande gentillesse, et elle m'a encouragé à mener l'existence que je voulais vraiment ! Et j'avais bien fait de l'écouter ! Bon, j'ai peut être perdu des morceaux au passage, mais je suis le capitaine d'un splendide navire !

Farca jeta un regard sur le bateau aussi usé que son capitaine qui était manœuvré par des animaux. Elle se retint de dire qu'elle suspectait le marin d'avoir perdu plus que ses jambes durant ces trois décennies.

– Personne savait que c'était ma mère qui vous avait incité à partir... J'imagine qu'elle n'a jamais rien dis pour s'éviter des ennuis...

– Et elle n'en mérite aucun ! Je lui dois tant ! Comment se porte-t-elle ?

L'expression de Farca fut la seule réponse dont avait besoin le marin. Il sentit la tristesse de l'alchimiste comme si elle était la sienne. Il chercha à la réconforter autant qu'il le pouvait.

– Votre mère était une grande femme. Peu importait la situation, elle ne pouvait pas s'empêcher d'aider ceux qui avaient besoin d'elle ! Même si ça devait lui attirer des ennuis !

– Nous parlons bien de ma mère... reconnut Farca d'une voix tremblante.

– Mais dites moi... Qui est donc votre père ? Vu que vous semblez connaître l'histoire de ma famille, je suppose que vous venez de la mine d'Acieroux !

Farca hésita, mais décida de partager l'information.

– ... Grimdent Acieroux...

Le nom surprit Bonnepioche, mais pas autant que Sieg qui connaissait le nom de famille.

– Attends, tu es de la famille Acieroux ? Mais... C'est une des plus riches familles naines de Griganar ! Ils possèdent l'une des plus importantes mines du continent de Seralin !

– Ouais, ben, t'imagines bien qu'une bâtarde de sang-mêlé n'a pas vraiment sa place dans une grande famille comme ça... grinça Farca. Mon père a fait ce qu'il a pu pour m'élever, mais... Disons que ce n'est pas que ma quête qui m'a poussé à quitter la mine a à peine treize ans...

Ou sa manie de ramasser tout ce qui ne lui appartient pas...

Attristée par le sort qu'avait subi sa camarade, Bélial s'agenouilla à côté de Farca et l'enlaça. L'alchimiste ne lui résista pas, appréciant l'attention que lui portait la barbare. Bonnepioche fut ému par la scène, découvrant par la même occasion que la fille de sa bienfaitrice connaissait un homme en qui il avait toute sa confiance.

– Dis moi, Sieg... Tu étais sérieux, quand tu disais que tu voulais partir pour Taouy dès que possible ?

L'écarlate hocha la tête. Bonnepioche ferma les yeux. Il se massa le crâne avant de cracher par terre.

– Monsieur Grams ! Faites savoir au reste de l'équipage que nous reprendrons la mer dans deux jours à l'aube ! Nous partons pour Taouy, alors dites bien à l'équipe de ravitaillement de ne pas chômer ! Je ne tolérerais aucun retard, c'est bien compris ?

L'orang-outan salua son capitaine et remonta à bord du navire en hurlant sur les autres primates, le perroquet sur son épaule faisant de même à l'attention des autres volatiles. Voyant que ses ordres étaient obéis, Bonnepioche se tourna de nouveau vers ses futurs passagers.

– Je pense que nous devrions nous trouver une taverne où nous pourrons discuter en paix... Nous ne pouvons pas vraiment faire ça dans ma cabine, parce que mon équipage ne sais pas travailler dans le calme...

Sieg acquiesça, rejoint dans son avis par les autres qui suivirent le capitaine qui les guidait vers un établissement proche du port.

Déicide - Volume 1 - Défier le destinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant