Chapitre 37: Une ombre chaleureuse... à sa façon (Partie 2)

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Ils entrèrent dans la taverne. L'écarlate fit quelques pas avant de s'arrêter en plein milieu de la salle, les poings sur les hanches, tel un conquérant.
À l'opposé du reste de l'Abri, cette taverne avait beaucoup de mobilier, disposant d'assez de tables et chaises pour recevoir une trentaine de clients. Un comptoir avait été taillé avec une précision surprenante pour le quartier dans la roche, décoré de quelques motifs simples et de bons goûts. Un large miroir terni était accroché derrière, au dessus de deux étagères ornées de divers alcools. Deux employés étaient occupés derrière le comptoir, alors que des serveuses prenaient et amenaient des commandes.

Sieg ne s'attarda pas sur la clientèle qui ne faisait pas dans la subtilité. La porte de l'enfer n'accueillait que rarement des clients qui ne trempaient pas de près ou de loin dans les affaires du propriétaire des lieux qui comptait généralement plus sur la taille des muscles de ses employés que sur celle de leurs cerveaux. L'exemple premier à cela était la brute qui essayait de dévisser la tête de quelqu'un en lui tirant les oreilles. L'écarlate fit cependant un clin d'œil à une musicienne sur scène qu'il connaissait et qui rougit en lui souriant bêtement.

– Bon, on va pas rester plantés là comme des navets toute l'aprem ! grinça Zanita en poussant Sieg. Maurice t'attend dans son bureau, et...

Un des clients se leva alors de sa table pour leur bloquer le passage. Il était grand et bien bâti. Sa peau verte et écailleuse couplée à sa longue queue et son regard reptilien ne trompait pas Sieg, c'était un korak. Il ne le confondit pas avec les horreurs qu'il avait affronté la veille, même si les origines des deux espèces étaient similaires.
Durant la guerre du Crépuscule, de nombreuses expérimentations effectuées par les deux camps et les accidents magiques si communs par ces temps troubles, avaient provoqué des mutations plus ou moins poussées chez certaines personnes.
La plupart de ces créatures avaient disparu, soit au combat, soit durant des purges, mais certaines lignées avaient perduré. C'était le cas des koraks, des être mi-humain, mi-reptile, qui vivaient dans les marécages de Etsep, au sud de Danatal.
Discriminés par les autres races dont les origines étaient plus naturelles, les koraks ne s'aventuraient que très rarement hors des marécages. Beaucoup les croyait aussi intelligents que de simples bêtes, mais cette erreur venait du fait que leurs mâchoires les rendaient incapables de parler les langues communes.
Bien que leur civilisation avait des siècles de retard sur celles du reste du monde, les koraks étaient loin d'être stupides, et détestaient se sentir manipulés par les autres peuples.

Ce korak, en particulier, regardait Sieg, les bras croisés, en grognant. Un de ses compagnons de table, un nain à la barbe frisée et au crane chauve, se leva pour se mettre à côté de lui.

– Mon pote dis que t'as une sale gueule ! traduisit le nain.

Sieg soupira et fixa le nain avec lassitude.

– Je sais...

– Moi aussi, je trouve que t'as une sale gueule !

Sieg leva un sourcil en disant qu'il n'était pas là pour entendre l'avis d'un sac à main sur patte et d'un nabot au crâne reluisant.

Autour d'eux, le volume sonore baissa, sans pour autant cesser. On prêtait attention à la scène, pour voir si une nouvelle bagarre allait commencer.
Zanita soupira en levant les mains en signe de reddition. Elle savait exactement se qui se passait vraiment.

Un sourire finit par se dessiner sur les visages des trois hommes qui se mirent à rire avant de se donner des accolades.

– Je suis bien content de vous revoir ! se réjouissait l'écarlate. Ça fait quoi ? Un an ?

– À une vacherie près, je dirais ! C'était un sacré merdier, hein ?

Sans se départir de son sourire, l'épéiste grimaça. Le nain faisait référence à une de ses aventures passées où le trio avait du faire équipe contre leur grès pour faire face à une situation aussi absurde que dangereuse, impliquant des hommes-huitres, un dragon-singe, et une production de confiture hallucinogène qui avait finit par développer une conscience.
Inutile d'essayer à en apprendre plus, car toutes les personnes impliquées dans cet incident préféraient ne pas en parler.

– Et sinon, vous devenez quoi tous les deux ? leur demanda le bretteur. Je me souviens que tu avais une question très importante à poser à quelqu'un, M'ganok.

Le korak sembla embarrassé, se massant l'arrière de la nuque. S'il en avait été capable, il aurait rougi comme une tomate. Il baragouina quelque chose dans sa langue natale qui ravit Sieg.

– Mais c'est excellent, ça ! Je suis désolé de ne pas avoir été là pour la cérémonie ! Il faudra que tu me présentes ta nouvelle femme, un de ces jours !

M'ganok posa sa main sur l'épaule de Sieg en hochant la tête. La discussion n'avança pas plus loin, car Zanita manifesta son impatience.

– Bon... soupira Sieg. J'imagine qu'on parlera plus une autre fois... Faites gaffe à vous en attendant !

– C'est ça... ricana le nain. Comme si c'était nous qui avions l'habitude d'attirer les emmerdes...

M'ganok confirma les propos de son ami, ce qui ôta à Sieg l'occasion de le démentir. L'épéiste s'en alla en boudant, bien qu'il leur promit de payer leur première tournée la prochaine fois.
Zanita agrippa les épaules de Sieg depuis derrière et le guida machinalement en haut des marches, se doutant que c'était le seul moyen de s'assurer qu'il ne serait pas ralenti par d'autres distractions.

Ils montèrent au dernier étage et s'arrêtèrent devant une porte. Zanita frappa et ouvrit en entendant la réponse. Ils entrèrent dans un bureau qui faisait aussi office de salon privé.
Quatre personnes assises sur des fauteuils et un canapé autour d'une table basse disputaient une partie de cartes. Attablé non loin d'eux, un homme à la mine fatiguée comptait de l'or et écrivait dans un livre de comptes, entouré de bourses qui indiquaient la provenance de l'argent.
Au fonds de la salle était assis un homme, ses jambes étendues sur son bureau. Il était dans la cinquantaine, ses cheveux sombres grisonnants coiffés sur le côté. Il portait des lunettes opaques qui masquaient ses yeux, ainsi qu'un costume qui semblait avoir été coûteux le jour où il l'avait acquis.
Trente ans plus tôt.

Maurice posa sa tasse de thé et écarta les bras avant de s'exclamer.

– Regardez qui voilà ! Le type le plus futé du coin après moi ! J'avais hâte de te revoir, Sieg !

Il se leva et s'avança vers Sieg pour lui saisir les bras.

– Tu sais que je suis vexé ? se plaignit Maurice. Sept mois que je n'avais plus de nouvelles de toi ! Sept ! C'est que je commençais à m'inquiéter ! T'as toujours été mon meilleur collaborateur ! J'en disais autant pas plus tard qu'hier ! Tu t'en souviens, Verno ?

Le comptable ne leva pas les yeux et se contenta de grogner de façon ambigu en tournant une page.

– Je suis navré de ne pas avoir pu te contacter avant, mais... chercha à s'excuser l'épéiste.

– Tatata ! coupa Maurice en agitant un doigt devant son visage. Tu n'as pas besoin de t'expliquer ! Je sais que tu cherche ce Saguoin depuis des années...

– Saga... soupira lassement Sieg qui avait l'habitude.

– Bah, peu importe ! éluda Maurice avec un signe de la main. Déjà que t'arrêtais pas de marmonner son nom dans ton sommeil, quand je t'ai trouvé inconscient dans la rue y a cinq ans, je comprends que tu fais une vraie fixation sur lui depuis longtemps !

Sieg fit de son mieux pour ne pas laisser transparaître ce qu'il pensait. Il se doutait bien que Maurice n'abordait le sujet que pour lui rappeler qu'il avait une dette envers lui.
Maurice lui tourna le dos et s'éloigna de quelques pas, un bras dans son dos et remuant un doigt en l'air.

– Mais bon, même si tu disparaît pendant plusieurs mois, ça ne me dérange pas plus que ça ! le rassura le criminel. Ce serait le cas avec mes autres gars, mais, comme je le dis toujours, t'en vaux le coup ! Quand t'es là, tu me rapportes en quelques jours ce que les autres font en un an ! T'es une vraie poule aux œufs d'or ! Je pourrais presque tout te pardonner !

Sieg sentit une violente pression sur ses épaules qui le fit s'affaisser. Une chaise fut au même moment glissée sous lui, le forçant à s'asseoir. Il fut maintenu en place par les joueurs qui avaient délaissé leur partie. Verno leva un sourcil en jetant un coup d'œil à ce qui se passait avant de retourner à sa besogne en grommelant. Une table fut posée devant l'épéiste, et Maurice se pencha vers lui en posant ses poings sur elle.

Presque...

Déicide - Volume 1 - Défier le destinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant