Chapitre 8: Une averse de rage

159 37 226
                                    

Comme pour répondre aux désirs de son peuple, la main droite de la démone empoigna le casque du guerrier si vite que c'était comme si son bras n'avait pas bougé, qu'il était passé d'une position à une autre en ignorant toutes les étapes entre les deux états.

– RAAAAAH !

Bélial percuta le sol avec sa prise en y mettant tout son poids. L'impact manqua de briser le crâne du guerrier qui lâcha son arme. Mais il n'aurait pas eut le temps de s'en servir de toute façon, car Bélial se mit à cheval sur lui, poing levé.
Telle une furie, elle déferla toute sa haine sur lui en hurlant de toutes ses forces. Ses frappes pleuvaient avec plus de férocité que les éléments autour d'elle, et il ne resta bientôt plus rien du casque et de la tête de son porteur que des débris et une bouillie informe. Mais elle ne s'arrêta pas, continuant de frapper une cible qui n'était désormais plus là.

Bel, arrête ! Bel ! Il est mort, ça y est !

Mais les appels de Raya ne tirèrent pas Bélial de sa transe. Hurlant comme une bête enragée, ses larmes ne pouvant pas être plus arrêtées que sa colère, elle s'acharna sur un ennemi qui n'existait plus que dans sa tête.
Bélial était envahie par un torrent d'émotions qui la torturaient. Elle se blâmait de ne pas s'être levée plus tôt, de ne pas avoir été là pour repousser l'attaque dès qu'elle avait commencé.
Elle venait de perdre tout le monde et elle n'avait rien pu faire. La dernière bribe de conscience qui subsistait en elle s'éteignait, trop épuisée pour essayer de se raviver.

– Bél... ial...

Comme si elle venait de se réveiller d'un cauchemar, Bélial sursauta, ses bras encore levés pour frapper le sol. La voix familière qu'elle venait d'entendre avait réussi à secouer son esprit et à la tirer de sa frénésie.

Avec une lenteur semblable à celle d'un glacier à la dérive, elle se tourna dans la direction de ces paroles. Là, elle vit le chef du village, étendu au sol. La moitié de son visage était brûlé, et ses jambes arrachées par l'explosion, mais il s'accrochait encore à la vie. De son seul œil valide, il la regardait, comme s'il l'implorait d'approcher.

Incapable de penser, Bélial se contenta de le dévisager pendant de longues secondes, incrédule. Puis, comme si son cerveau avait enfin décidé de se remettre en marche et d'accepter ce qu'il voyait, Bélial se précipita maladroitement vers le chef, manquant de trébucher à quelques reprises. Elle le prit dans ses bras et comprit vite qu'il n'y avait plus rien qui pouvait être fait pour lui.

D'un trou béant dans son torse s'écoulait tout son sang, une blessure bien trop grave pour être soignée sans une magie du plus haut niveau. Le chef usait clairement ses dernières forces pour s'adresser à Bélial.

– Je commençais... à craindre que... tu étais aussi... morte... Je suis heureux... que tu...

– Parles pas ! paniqua la démone en cherchant désespérément un moyen de sauver l'ancien. On... on peut encore... Tu vas...

Ne parvenant même pas à se convaincre elle même, elle bafouilla un moment. Le vieil homme posa sa main sur sa joue et lui sourit, la calmant immédiatement.

– Tu étais peut-être... l'enfant la plus bruyante et la... plus violente que j'ai jamais vue, mais... tu étais aussi... la plus gentille... Peu importe la situation... quand quelqu'un avait... besoin d'aide... tu étais toujours... la première à réagir... Ta force... t'a jamais aveuglée... T'as jamais... perdu de vue.. ce qui était important dans ton cœur... C'était à cause de ton amour... pour nous tous...que je voulais que... tu sois le prochain... chef...

Choquée, Bélial se demanda si c'était une blague absurde dont le chef avait le secret. Mais l'ancien semblait sincère, ce qui la perturbait encore plus.

– Moi ? s'étonna une démone effrayée. Mais je suis...

– T'es pas la... plus futée d'entre nous, mais... tout le monde avait... confiance en toi... Nous savions tous que tu saurais... prendre les décisions... dont le village aurai besoin... Pas comme... Tyrian...

– Il aurait jamais accepté ça ! rappela la jeune femme d'une voix tremblante de peur. Tu sais bien qu'il aurait...

– Je sais... Mon fils a toujours été... trop fier... Il est pas prêt... à me succéder... En vérité... j'espérai que perdre... contre toi... le ferait grandir... Mais ça l'a brisé...

Ce commentaire inquiéta Bélial qui ne put s'empêcher d'interroger son chef, malgré la peine qui écrasait son cœur.

– Hein ? Qu'est-ce que tu veux dire ?

– Le chef... de nos attaquants... Tyrian... était à ses côtés... C'est lui... qui m'a...

Alors qu'il montrait sa blessure la plus grave, Bélial eut l'impression que son monde s'effondrait à nouveau autour d'elle. Non seulement son village venait d'être massacré, mais un des leurs les aurait trahis? Elle ne pouvait pas le croire.

– Non... Non, c'est... bafouilla la démone.

– Tyrian a laissé... sa fierté et sa... soif de pouvoir... le dominer... Il nous voist plus... comme les siens... Dégoûté que... nous voulions pas... la même chose que lui... il nous a abandonnés... Maintenant, il reste... plus que vous... trois...

– Trois ? demanda Bélial avant de comprendre. Mais... Ma mère ! Elle est où?

Le chef pointa une direction que suivit Bélial du regard, et elle n'en revint pas. Alors que l'explosion magique avait endommagé les murs autour d'elle, la porte ancienne n'avait pas la moindre égratignure.
Cependant, elle était ouverte.
Bélial ne put percevoir de là où elle était que le fait qu'elle donnait accès à un couloir qui semblait descendre, mais rien de plus.

– Comment...

– Je l'ignore... Mais ta mère est partie... à leur poursuite... Tu dois l'aider... Laissez pas... l'héritage de Sombresang... se...

La phrase ne fut jamais conclue. Le peu de ses forces ayant finalement quitté son corps, la main du chef glissa sur la joue de Bélial, et pendit misérablement le long de son corps sans vie. Attristée, Bélial vit la dernière lueur s'éteindre dans l'œil du vieux démon.
Elle le serra contre elle, comme si elle pouvait récupérer ce qui était perdu ainsi, mais ce geste ne servit à rien. Les larmes de la démone coulèrent de plus belle, comme si elles étaient abreuvées par une source sans fin.

Bel...Je sais que tu vas mal, mais tu dois...

– Je sais, putain ! rugit Bélial à plein poumon, son cri couvrant un instant la cacophonie de la pluie.

Étonnée par sa réaction, Raya resta silencieuse alors que Bélial se levait enfin, tremblante de rage.

– Je ne peux pas abandonner ma mère... déclara-t-elle d'une voix faible. Il ne me reste plus qu'elle...

La démone commença à marcher vers la porte et se planta devant elle. Comme la jeune femme l'avait supposé, elle menait à un escalier qui descendait dans les ténèbres, et il était impossible de dire jusqu'où il allait. Pour Bélial, ça aurait très bien pu la mener de l'autre côté du monde, elle s'en moquait. Au bout de celui ci se trouvait l'objet de sa vengeance et la dernière personne à laquelle elle tenait, il était hors de question de tourner les talons ici.

La barbare était encore secouée par la mort de son clan, et une part d'elle voulait simplement s'effondrer en larme en maudissant le destin, mais la démone ne se le permit pas. Pas avant d'avoir honoré leur mémoire.

Elle adressa cependant un dernier regard à la dépouille du chef du village.

– Merci pour tout, chef...

Sur ces paroles, elle s'enfonça sans hésitation dans les ténèbres.

Déicide - Volume 1 - Défier le destinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant