Chapitre 70: Tomber de haut (Partie 1)

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Ses oreilles sifflaient encore. Alors que sa vision revenait peu à peu, Rotsala balaya les environs du regard. Il distingua les formes floues de ses compagnons, et ils ne semblaient pas être dans un meilleur état que lui. Rotsala tenta de se redresser, perdit l'équilibre, et s'étala sur le sol dans un râle. Il secoua la tête et recommença, plus lentement. Titubant sur ses jambes, ses sens étaient presque revenus à la normale, et il put examiner de façon plus précise les autres membres de son groupe.

Il laissa de côté Péléon qui restait allongé sur son dos, bras et jambes étendus, car il savait qu'il restait ainsi plus par flemmardise que par douleur. Près de ce dernier, Natas, toujours assis sur le sol, commençait à rire à gorge déployé, rapidement rejoint par Lina qui se frottait les yeux, sûrement encore un peu éblouie. Flavio parvint à se redresser en prenant appui sur son bâton. Zelon, qui se portait bien mieux que ses compagnons, proposa son aide à Simétra qui repoussa sa main tendue et se releva d'elle même.

– La vache... On nous avait prévenu que ce serait violent, mais là... grommela Zelon. La dernière fois que j'ai eu aussi mal, c'est quand un troll m'a piétiné...

– Arrêtez de parler, sinon je vais me gerber... marmonna la voleuse qui se mit à grimacer.

– T'as toujours été une petite nature! ricana le guerrier en se levant péniblement.

Alors que Lina lui répondait par un signe malpoli, plusieurs regards se portaient sur la cause de leur malheur. Une gigantesque stèle couverte de symboles qui brillaient de moins en moins semblait les écraser par sa présence. Les quatre colonnes de pierre qui l'entouraient s'effritaient lentement, avant de finalement se briser. Les dalles sur le sol continuaient de crépiter, toujours parcourues par un résidu de la puissance magique invoquée juste avant.

Devant la stèle, un jeune homme portant une robe couverte de runes haletait, clairement vidé de ses forces. Il se laissa tomber sur ses genoux et poussa un long soupir. Rotsala se dirigea péniblement vers ce dernier et posa sa main sur son épaule.

– Tu l'as fait... Tu l'as vraiment fait, Saga ! Tu viens de sauver le monde de lumière !

L'homme au sol tourna son regard vers son frère et hocha la tête.

– Je savais que mes calculs étaient bons, mais si vous ne m'aviez pas protégé pendant la cérémonie...

Ils furent interrompu par une clameur grandissante qui venait de plus loin. Tous fixèrent le bord de la falaise à une dizaine de mètres d'eux. Dans la vaste plaine qui s'étendait plus bas, des milliers d'individus avaient commencé à pousser des cris de victoire. Des bannières disparates furent agitées avec énergie alors que des soldats, portant parfois des armures différentes, se félicitaient d'avoir survécu à la guerre qui venait de prendre fin.

Mais ce ne fut pas ça que le groupe fixait. Devant eux se tenait une femme en armure, observant calmement la marée de corps qui se réjouissaient de leur victoire. Des neuf personnes en haut de la falaise, elle était la seule qui ne semblait pas montrer de signes de fatigue. Sa posture restait digne, ses mains posées sur la poignée de son épée plantée devant elle. Quand elle entendit ses compagnons se rapprocher d'elle, elle se mit à leur parler, sans se retourner.

– Dire qu'il y a seulement cinq ans, toutes les nations du monde étaient prêtes à se battre entre elles. Et je ne parle même pas des différentes races... Mais maintenant, regardez ça! Ce que nous avons devant nous est une alliance de pays de tous les horizons, chacun avec leurs propres coutumes et croyances ! Même les elfes qui passent leur temps à mépriser les autres peuples et les nains qui se terrent sous leurs montagnes sans se soucier des autres sont ici, formant une seule et même armée, unie et solidaire!

Silania, la meneuse des Neuf Sauveurs, se tourna vers ses camarades et ôta son casque. Ses cheveux se mirent à flotter dans le vent, brillants grâce aux reflets du soleil qui disparaissait déjà derrière les montagnes. Alors qu'ils étaient admiratifs devant une telle vision, elle leur adressa un sourire étincelant et plein d'innocence.

– Je sais qu'une telle harmonie a peu de chances de perdurer, mais j'ai comme espoir que cette longue guerre permettra au monde d'enfin rester en paix. Imaginez ça ! Plus de conflits, plus de familles déchirées par des batailles vides de sens !

– Un cauchemar, ouais ! cracha Natas. Un mercenaire comme moi crèverait vite de faim dans un monde pareil !

– Vois ça comme une chance de pouvoir raccrocher ton épée... bailla Péléon. Et puis, même s'il n'y a plus de guerre, ce n'est pas comme si tous les monstres du monde avaient disparu... Entre les gobelins et les bandits, tu devrais pouvoir te trouver des missions...

– Parce que vous croyez qu'on va avoir besoin de travailler après tout ça? s'exclama Lina avec un large rictus en agrippant le dos de Rotsala. On était déjà des héros avant aujourd'hui, et là, on vient de sauver le monde! Vous pensez que les neuf veinards qui viennent de mettre fin à la plus grande guerre de tous les temps ne vont pas se voir attribuer toutes les richesses qu'ils veulent? T'imagines ça, Rotsy ?

Le jeune guerrier rougit en pensant à la fortune et les honneurs qui les attendaient. Il fut cependant tiré de ses pensées par Flavio.

– Je vois que toutes mes paroles sont vraiment tombées dans les oreilles d'une sourde... soupira le prêtre. Et moi qui pensais que notre quête t'aurais inspirée vers de plus nobles aspirations...

– Tu dis ça, mais après tes exploits, on se doute tous que tu seras le prochain pape de ton église! ricana Simétra en passant son bras autour de ses épaules. Et c'est pas comme si le culte du dieu du soleil était un petit truc! Tu seras aussi puissant qu'un roi!

– Tu sais très bien que je n'ai pas de telles aspirations! se défendit Flavio, pris au dépourvu. Je n'aspire qu'à une vie simple!

– Cesse donc de le taquiner! ricana Natas. De toute façon, de nous tous, ce n'est pas lui qui a le plus de chance! Pas vrai gamin?

Maintenant le centre de toute l'attention, le plus jeune du groupe décida de rester muet. Rotsala n'avait pas envie qu'on lui rappelle qu'il n'avait pas la même carrure que ses compagnons, et qu'il était vu par tous comme étant le plus inutile du groupe. Il imaginait déjà les faux sourires qui le suivraient pour le restant de ses jours. On aurait beau lui dire de face qu'il serait aussi respecté que ses pairs, Rotsala se doutait qu'il ne serait jamais vu comme leur égal.

Déicide - Volume 1 - Défier le destinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant