La Dernière Étoile - Tome 1: Ascension

D. L'empereur est en danger

Harkass et Varig franchirent la lourde porte blindée séparant les générateurs du reste du vaisseau quelques minutes après la secousse. Ils avaient marché d'un pas rapide, ignorant les regards tantôt interrogatifs tantôt inquiets des autres membres de l'équipage croisés en chemin.

Aussi vaste qu'un hangar, la salle des machines abritait l'énorme moteur alimentant les réacteurs à impulsion du croiseur, ainsi que les cuves stockant la réserve de deutérium. C'était le carburant utilisé sur la quasi totalité des vaisseaux sillonnant les routes stellaires Andromeda, une ressource précieuse et convoitée...

La pièce baignait dans une lueur orangée, résultat d'un filtre spécial destiné à détecter les fuites.

Les deux soldats se rendaient au poste de contrôle surplombant la salle, et devaient emprunter une passerelle étroite, perchée à dix mètres du sol.

La première fois qu'ils étaient venus, Varig avait été saisi d'un vertige, amplifié par la vibration puissante des réacteurs. Cette fois il était résolu à ne pas regarder en bas, mais avançait d'un pas anormalement lent. Tout le contraire d'Harkass, qui allongeait sa foulée avec autant d'aisance que s'il marchait dans n'importe quelle autre zone du vaisseau.

-Allez dépêche le bleu! lança-t-il à son son coéquipier.

Il attendit que ce dernier le rejoigne pour déverrouiller la porte blindée qui protégeait le poste de contrôle. En cas d'abordage, un commando pouvait détruire le vaisseau simplement en s'emparant des commandes des réacteurs; c'était donc un lieu hautement stratégique et sécurisé.

L'ambiance dans la petite pièce était électrique, et pas à cause des câbles qui couraient un peu partout. Le visage du capitaine Hackett s'affichait sur un écran mural, face au technicien en chef. Aucun des deux hommes ne sembla vraiment accorder d'attention à l'arrivée des soldats.

-... La navette de l'empereur sera là dans trente minutes, alors donnez moi au moins une bonne nouvelle, lança l'officier avec lassitude.
-Ben... À priori l'Indomptable ne devrait pas imploser patron, répondit son subordonné. Mais la surcharge a flingué toute une section du réseau électrique; on a plus d'armes, de boucliers ni de com longue distance, et j'ai toujours aucune foutue bordel d'idée du truc qu'a causé la panne. Faut tout couper et faire un diagnostic complet, je vois que ça à faire.
-Combien de temps?
-Minimum trois heures. Plutôt cinq si c'est un bug vicieux.
-Bon sang! Ce vaisseau est flambant neuf, on a passé une semaine en vol d'essai sans rencontrer le moindre problème technique... Comment ça a pu se produire?

Le technicien haussa les épaules.

-Aucune idée patron, si je le savais...

-L'empereur ne sera pas content. Mais faites au mieux, je vais déployer nos chasseurs pour sécuriser son couloir d'approche vers Terranie. Prévenez moi immédiatement s'il y a du nouveau.

L'écran s'éteignit et le maître des lieux se tourna enfin vers ses visiteurs.

-Besoin d'aide? proposa Harkass, un demi sourire sur les lèvres.

-Bah, je gère. Ça se voit pas? répondit son interlocuteur avec la même expression. T'as ramené le gamin avec toi?
-Yep. J'allais pas le laisser tout seul, pauvre petit...

Les deux hommes s'esclaffèrent, au grand déplaisir de Varig. Mais ce dernier s'efforça malgré tout de sourire, tout en observant ses aînés.

Physiquement, ils étaient très différents; Harkass était une vraie montagne de muscles alors que le technicien chef était d'une maigreur maladive, avec une moustache fournie qui tressautait de façon particulièrement ridicule quand il riait. Ça ne semblait pas les empêcher de s'entendre à merveille.

-Bon, fini de blaguer, faut que je coupe le système, annonça-t-il en se tournant vers les écrans. Faudra quand même que je les prévienne avant de toucher à la gravité artificielle, sinon y en a qui vont encore râler à l'infirmerie. Pff... Quelques fractures, ça se répare non!?

Il commençait à pianoter sur un clavier quand des coups sourds furent frappés contre la porte blindée. Aussitôt, une image de la caméra extérieure s'afficha sur un écran prévu à cet effet. Un jeune technicien originaire de Nirauran regardait autour de lui en se contorsionnant de façon comique comme s'il était pris d'une envie pressante. Son supérieur le regarda faire quelques secondes avant d'ouvrir la porte.

-Chef, chef! lança le tech en s'engouffrant dans la pièce. On a un gros problème!

-Sans déconner, t'es monté pour m'apprendre ça? releva l'intéressé. T'es un vrai petit génie fiston, maintenant retourne au boulot!

Mais le jeune homme ne sembla pas se préoccuper de l'interruption et se précipita vers les consoles de commandes, y posant un drôle de petit cube noir.

-J'essayais de recalibrer le générateur quand je suis tombé sur ça. Ce truc a causé la surcharge. C'est du sabotage!

-Impossible que quelqu'un l'ait implanté avant notre départ, releva son supérieur, très calme. On a fait un check complet avant de démarrer les moteurs...

-Justement chef. C'est forcément un tech! Il y a un traître à bord... Et ce n'est pas un hasard s'il agit précisément maintenant.

Le technicien chef regarda Harkass et Varig. Ce dernier sentit un frisson traverser sa colonne vertébrale. La navette de l'empereur allait arriver dans une trentaine de minutes; durant l'approche de Terranie, l'Indomptable était censé la protéger, mais il avait été neutralisé par la panne. Ce n'était pas une coïncidence, plutôt la première étape d'un assassinat...

-Ok fiston, on va regarder ça. Montre-moi comment marche ce truc?

Le jeune technicien ramassa le cube et s'approcha de son supérieur.

-Ici, répondit son subordonné en désignant une des faces. Le branchement absorbe la...

Tandis qu'il avait les yeux baissés sur l'appareil, le technicien en chef avait porté la main à sa ceinture de travail. Avant que quiconque ait pu réagir, il en tira une clé électrique et frappa le malheureux tech à la base du coup. L'arme improvisée grésilla, délivrant un puissante décharge; le jeune homme fut projeté en arrière puis s'effondra sur le sol, inconscient ou mort.

-Lâchez ça! ordonna Varig après une seconde d'un silence glacial.

Tout en parlant il arma son fusil d'un geste mille fois répété et le pointa sur la poitrine du traître. Sa main tremblait légèrement.

-À genoux, mains sur la tête ou je te descend! répéta-t-il, plus assuré. Harkass appelle le sergent, l'empereur est en danger...

Mais au lieu de la réponse attendue, le jeune soldat sentit le canon d'une arme venir s'enfoncer dans son dos.

-J'espère bien le bleu, lâcha le colosse. Avec tout le mal qu'on s'est donné... Laisse tomber ton flingue et n'essaie même pas de toucher à ton communicateur, tu pourrais te blesser.