E. La chair à canon

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La mort dans l'âme, Varig laissa tomber son arme au sol.


-Fais la glisser vers Curtis, exigea Harkass dans son dos.


Le jeune soldat s'exécuta avec lenteur, le cerveau en ébullition. Il devait trouver une échappatoire.


-Pourquoi? demanda-t-il pour gagner du temps tandis que le technicien en chef ramassait son fusil.


Ce dernier haussa les épaules.


-Tu comprendras pas, lâcha-t-il en se tournant vers les consoles, l'arme en bandoulière.
-Pas sûr, le contredit Harkass. C'est un réfugié lui aussi.


Curtis haussa à nouveau les épaules, concentré sur sa tache.


-Explique lui si ça t'amuse. Dans quelques minutes ça n'aura plus d'importance.


Harkass se racla la gorge avant de commencer sa diatribe.


-T'écoute les spots de propagande thrawniens, comme tout le monde pas vrai? Sa majesté l'empereur nous parle de paix et de sécurité à longueur de discours. Mais ce vaisseau a l'air conçu pour la paix? Le titre de grand amiral qu'il s'est donné, c'est pour mieux faire du commerce? Andromeda est en guerre depuis toujours, j'ai passé presque toute ma vie à fuir de massacres en massacres et c'est la faute de types comme lui!


Varig se raidit instinctivement. C'était l'exact opposé de ce qu'on lui avait rabâché tout au long de sa formation. L'empire avait besoin de population et attirait facilement des milliers de réfugiés grâce à la bonne réputation de l'Alliance des Empires Unis dont il faisait partie. Une promesse d'ordre, de sécurité et de paix... Le jeune homme s'était précisément engagé par reconnaissance envers ceux qui l'avaient accueilli, pour faire vivre ce rêve. Sans empereur, il était condamné.

Il devait continuer à faire parler Harkass et guetter l'occasion de le désarmer tant que son complice se concentrait sur les consoles... Le mieux serait de l'énerver pour qu'il fasse l'erreur de se rapprocher.


-L'empire est le seul système politique capable de maintenir l'ordre, déclama le jeune homme avec toute la conviction d'un instructeur de l'académie. Il assure la sécurité. Tu étais sur Crustaï non? Comment tu peux travailler avec ces rebelles...


Le jeune soldat se sentit soudain poussé brutalement en avant. Il reprit l'équilibre en percutant une cloison et en profita pour se retourner. La distance entre Harkass et lui s'était réduite, mais pas assez pour pouvoir lui sauter dessus. Le traître le tenait en joue, la bouche tordue par la colère.


-Oh oui j'y étais! Des centaines de soldats sont morts pour reprendre les centres de recherches de ce caillou plein de flotte. On s'est battus couloir par couloir avec les rebelles, mon meilleur pote s'est fait fumer et tout ça pour quoi?! Il aurait suffit de tout bombarder depuis l'orbite. Mais non, non...
-Les civils auraient...
-On aurait fait brûler les villes sans hésiter si c'était là que les rebelles s'étaient retranchés! Mais ils savaient que nos vies avaient moins de valeurs que ces labos aux yeux de l'empereur. Après tout c'est le job de l'infanterie; on est la chair à canon, juste bonne à crever en première ligne pour la gloire du grand amiral thrawn. Alors qu'il aille se faire foutre!


Soudain le vrombissement caractéristique des fusils au gaz retentit dans l'espace confiné, aussitôt suivi de celui d'une balle s'enfonçant avidement dans la chair.
Varig recula, surpris de ne pas avoir été touché.


-Bordel Curtis! jura Harkass. Pourquoi t'as fait ça!?


Le technicien neutralisé un peu plus tôt par son supérieur gisait au milieu d'une mare de sang qui s'étendait doucement sur le sol. Une tache écarlate fleurissait au milieu de son torse, là où le projectile avait percé son uniforme de travail; son chef l'avait achevé.


-C'était mon meilleur gars, expliqua-t-il froidement. Plus de risque qu'il trouve une combine pour réparer.
-Plus de risque...!? Il est mort!
-S'ils réactivent les armes avant qu'on soit en hyperespace on le sera aussi. Descends le gamin et on se barre.


Le technicien chef était déjà presque à la porte, mais Harkass ne tira pas. Son doigt semblait hésiter au dessus de la détente.


-Tu flanches c'est ça? s'agaça son complice en se revenant vers lui. T'es allé trop loin pour reculer maintenant. Pense à toutes les vies qu'on va sauver en tuant thrawn avant qu'il ne sème la guerre partout sur son passage!


Le soldat baissa son fusil.


-Ce bleu, c'est pas thrawn, lâcha-t-il simplement. Juste un gamin.
-Lâche.


Curtis le bouscula sans ménagement et leva son fusil.


Mais c'était l'occasion que Varig attendait; il bondit sur le tueur dans un mouvement presque comique, pivotant pour sortir de la ligne de tir. Ce fut efficace; une balle le frôla avant d'aller se perdre dans une console, déclenchant une explosion électrique et une pluie d'étincelles.

Le jeune soldat saisit l'arme et lutta pour s'en emparer. Dans ses efforts pour l'en empêcher, Curtis pressa la détente, arrosant les consoles de balles. Une alarme se mit aussitôt à retentir, éclairant la pièce d'une lueur rouge.

Dopé par l'adrénaline, Varig asséna un violent coup de genou à son adversaire, l'obligeant à lâcher le fusil et à reculer en titubant.


Le jeune homme avait à nouveau une arme; mais avant qu'il ne puisse s'en servir, Harkass lui asséna un coup de crosse dans les côtes qui le plia en deux. Il visa ensuite la nuque, expédiant Varig dans les limbes de l'inconscience.

La Dernière Étoile - Tome 1: AscensionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant