A. Interrogatoire

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Nerveux, Varig pianotait sur la carcasse de sa chaise. Comme tout le monde il détestait attendre sans rien faire, et en temps normal il aurait sans doute allumé son ordinateur de poignet pour surfer sur le réseau, ou pour tenter de battre son score sur gameforge, un holO-game particulièrement populaire.
Mais il se trouvait dans une salle d'interrogatoire du Bureau de la Sécurité Impériale et se savait observé en permanence. Il tentait donc de rester stoïque en attendant qu'on vienne s'occuper de lui.


La pièce aux murs de métal sombre où il patientait était austère, pour ne pas dire hostile. Une chaise avait émergé du sol à son entrée, mais c'était le seul élément de mobilier. Le néon intégré au plafond vomissait une lumière crue agressant les yeux, bien trop forte pour la faible superficie.
En observant la pièce, sa fonction première sautait aux yeux: c'était une cellule de détention.


Au bout d'un moment la porte coulissa en silence, livrant passage à un homme en uniforme noir sans insigne ni grade. Il n'en avait pas besoin, l'aura de pouvoir du Bureau suffisait à elle seule à susciter crainte et respect. D'ailleurs Varig se leva instinctivement et se mit au garde à vous, comme il l'aurait fait à l'entrée d'un officier.


-Bonjour soldat Atorias, lança l'homme sans le regarder, tandis qu'un bureau et une seconde chaise sortaient du sol. Asseyez vous.


Lui-même s'installa et passa la main sur la table devant lui. Aussitôt un ordinateur holographique apparut.


-J'aimerais que vous me racontiez la chute de l'Indomptable, continua l'agent en commençant à pianoter sur le clavier lumineux, toujours sans lui accorder le moindre regard.


Malgré lui, le jeune homme sentit monter une bouffée de colère. Même s'il avait faillit mourir dans l'attaque de l'Indomptable, les hommes du BSI l'avaient traité comme un suspect. Il avait enchaîné les interrogatoires de débriefing durant des jours, racontant encore et encore la même histoire.
Finalement on l'avait réaffecté dans une petite base d'artillerie sol-espace sur une colonie perdue de la galaxie 1. Les jours étaient devenus des semaines, les semaines des mois. Son nouveau poste était une véritable punition.


Juste après s'être engagé Varig avait passé haut la main les tests des troupes de choc, l'infanterie interstellaire, et s'était entraîné avec acharnement jusqu'à sortir parmi les meilleurs de sa promotion à l'académie. Se retrouver coincé sur une planète désertique était loin de ce qu'il espérait pour sa carrière.
Pourtant il avait obéi et fait son travail de soldat avec une application obstinée, vérifiant les circuits des armes, nettoyant le sable des systèmes de visée, scrutant les écrans radars des heures durant.
Quand il avait enfin été convoqué au spatioport planétaire, il espérait que c'était pour lui annoncer qu'il allait quitter ce foutu désert. Au lieu de ça il se trouvait dans une cellule du BSI et on lui posait à nouveau les mêmes questions que des mois auparavant. Il en avait assez.


-J'ai déjà été interrogé longuement sur tout ça monsieur... Je n'ai rien à ajouter à ce que j'ai déjà dit et répété à vos collègues. Pourquoi vous me gardez sur ce caillou plein de sable? Quand est-ce que je pourrai de nouveau servir sur un vaisseau!?


Il avait presque crié cette dernière question. Les doigts de l'homme s'immobilisèrent au dessus du clavier holographique.
Il leva les yeux vers son interlocuteur pour la première fois depuis son entrée dans la pièce.
Le visage de l'homme était banal et ses pupilles étaient noires, sans rien de particulier. Pourtant Varig se sentit profondément mal à l'aise. Ce regard était vide, n'exprimant rien du tout. Ni colère, ni empathie ou aucun autre sentiment humain.


-Depuis la rébellion thrawnienne et la création de Dero, l'autorité du BSI a été étendue à toutes les planètes de l'alliance, expliqua-t-il d'une voix douce, presque un chuchotement. Cela nous a beaucoup occupé. Aujourd'hui nous sommes décidés à en finir avec cette vieille histoire. Vous voulez servir de nouveau sur un vaisseau soldat Atorias?


Varig déglutit et baissa les yeux. Il serrait le poing, les phalanges blanchies.


-Oui monsieur. Plus que tout dans l'univers.
-Alors répondez à mes questions si vous voulez avoir une chance que ça arrive un jour.


Le jeune homme acquiesça en silence, la gorge nouée. Il était allé trop loin, il le savait, mais il n'avait pas pu s'en empêcher.


Toujours sans manifester le moindre signe d'émotion l'agent croisa les mains devant lui, au dessus du clavier.


-Racontez moi tout depuis le début, exigea-t-il.


Varig s'exécuta. Il s'était repassé dix mille fois cette journée dans la tête au cours des jours et des nuits passés à surveiller le radar de la base. Il n'avait plus besoin de chercher ses mots.
Arrivé au bout de son récit et après avoir décrit l'explosion de l'Indomptable au dessus de l'océan de Terranie et la récupération de leur module de survie par un vaisseau de secours, il se tut. Le silence dura une longue minute.


-Aimez vous les puzzles soldat Atorias? demanda soudain l'agent sans nom.
-Euh... Les puzzles monsieur? répondit Varig, persuadé d'avoir mal entendu.


L'autre hocha la tête, pensif.


-J'ai repris toute cette enquête du début, mis chaque pièce à sa place. Les rebelles ont payé des pirates pour attaquer la navette de l'empereur quand il approcherait de Terranie. Ils ont neutralisé l'Indomptable de l'intérieur mais ils avaient sous-estimés les pilotes de l'escorte. Nos chasseurs ont réussi à tenir à distance les tueurs, le temps que l'empereur se pose en sûreté sur la planète. Votre escouade et Harkass aurait dû être là-bas, j'imagine que c'était leur plan B. Mais il reste une question qui me tiraille; pourquoi vous ont-ils laissé en vie? Pas de témoin.


Varig se posait la question tous les jours, sans trouver de réponse satisfaisante.


-Je ne sais pas monsieur. Les seuls qui pourraient vous répondre courent toujours.


L'agent du BSI le scruta un instant avant de faire disparaître l'ordinateur holographique d'un geste.


-Qu'ils courent tant qu'ils peuvent, lâcha-t-il. Tôt où tard il devront s'arrêter, et nous serons là.

La Dernière Étoile - Tome 1: AscensionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant