Il n'était pas aisé de se trouver dans la peau de Carmina.
Pas plus que dans celle de l'un ou l'autre de ses compagnons d'infortune.
Effectivement, parce que le nouveau chef du village les avait chassés, l'ensemble de ses opposants s'étaient vu proposés deux choix.
Ou bien ils quittaient les terres gouvernées par le fils du précédent, lui bien élu démocratiquement.
Ou bien tout simplement, leur présence dans ou autour du village équivaudrait à une déclaration de guerre, justifiant par-là que leur vie comme celle de leur famille devrait permettre de laver cette offense.
Comme la plupart tenaient à leurs proches, en plus bien évidemment de la leur, voilà un troupeau de natifs d'un village tombé aux mains d'un tyran parcourir pour la première fois de leur existence une bien plus large portion de la Terre qui les avait tous vus naître.
Car, s'ils y étaient attachés en raison de leur naissance, de leur passé sur ce sol restreint et aride, la réalité était que s'ils auraient pu le choisir, jamais leur mère n'aurait accouché en ces terres.
La chaleur était accablante, les récoltes timides, l'harmattan cinglant et brûlant...
Toute leur enfance, on leur avait conté ce qu'ils avaient jusqu'ici considéré comme des balivernes.
Loin du village proche du désert et géographiquement situé dans une piètre contrée pour qui voulait y développer une agriculture riche, variée et prospère, existaient une myriade d'autres peuplements.
Différentes cultures, différents peuples et même différents climats.
Ainsi la Terre tout entière ne serait-elle pas sèche et brûlante ?
Les oasis y seraient-ils plus larges ailleurs ?
Bien évidemment, Carmina ignorait tout des rivières, des lacs, des fleuves et des océans.
La mer lui était totalement inconnue, d'ailleurs elle s'évanouirait sûrement de bonheur si elle venait un beau jour à découvrir cette vaste et infinie étendue d'eau.
Imbuvable telle qu'elle, certes, et peuplée de créatures tels les requins longimanes qu'il valait mieux éviter...
Mais tout de même, pour quelqu'un comme elle ayant chaque jour de sa vie utilisé l'or liquide avec parcimonie, il était impensable de vivre sans se préoccuper de l'économie de cette ressource vitale.
La nourriture, temporairement ils pouvaient s'en passer...
Intelligemment, chacun avait rapidement pris l'initiative d'emporter, dans un grand sac à dos en tissu cousu main, de quoi nourrir ses cellules de façon exogène le temps que la situation s'améliore.
Le petit groupe d'émigrés espérait bien se stabiliser quelque part, là où l'élection d'un chef n'était pas considérée comme une hérésie.
Néanmoins, tout au fond d'eux-mêmes, les voyageurs doutaient de cette éventualité.
Aux alentours, il n'y avait pas grand-chose d'autres que de vastes étendues rocheuses inaptes à l'installation humaine.
Et de toute manière, Carmina et ses analogues ne pouvaient pas se risquer à s'arrêter aussi près de leur ancienne contrée.
Beaucoup trop périlleux.
Non, à la place ils continuèrent de parcourir la Terre, bientôt exténués, les chevilles douloureuses et, au bout de quelques jours à survivre sous le soleil cuisant, à bout de vivres solides comme liquides.
La nuit où la soif emporta la meneuse de la révolte perdue d'avance, Carmina pensa qu'il aurait été bien plus judicieux de tuer le tyran dans son sommeil.
Au lieu d'abandonner sa terre en nette position de faiblesse.