Le téléphone sonna alors que Fumiko ordonnait une dernière rangée de paires de skis.
La saisonnière se dépêcha d'aller saisir le combiné, sous l'œil agacé de son collègue Grégoire, lui aussi là que de passage.
Au bout du fil, l'étudiante en psychologie clinique découvrit avec stupeur la voix affolée d'un homme assurant qu'il s'était perdu.
Lorsque la japonaise lui demanda judicieusement s'il était prêt à attendre qu'une équipe de sauvetage, correctement formée pour cela, vienne à son secours elle rencontra automatiquement sa vive négation.
Sa jambe était coincée, disait-il et plus personne ne skiait dans les alentours.
« Évidemment, pensa la vendeuse de matériel de ski, il est déjà dix-huit heures ».
L'homme aurait déjà dû quitter la piste au plus tôt il y a une heure...
Cependant, le vent était glacial dehors, et Fumiko savait que chaque minute comptait.
Avec horreur, elle matérialisa dans son esprit ce qu'il adviendrait si la presse découvrait qu'un voyageur était mort de froid à la suite de la méprisante négligence d'une simple vendeuse employée pour quelques semaines d'hiver...
Réfléchissant à toute vitesse, tout en répondant comme elle pensait devoir le faire, avec calme et patience à son interlocuteur, la jeune femme ne voyait qu'un seul moyen de mettre fin à cette situation.
Ce n'était certainement pas ce paresseux Grégoire, qui peinait déjà à traîner sa carcasse jusqu'à la boutique qui allait se donner la peine de secourir un imbécile.
Celui-là n'avait qu'à suivre les instructions données par les employés sur le terrain, voilà ce qu'il pensait.
En conséquence, le rustre totalement discourtois laissa sans souci la frêle Fumiko sortir dans l'air sombre et givré de ce début de soirée de janvier.
Cette dernière referma donc la porte de la boutique, vérifia qu'elle avait bien ses clés, à la fois du magasin mais également du petit chalet dans lequel elle était logée.
Après quoi, elle remit son bonnet en place, réajusta ses lunettes de protection, serra les lacets de ses chaussures puis enfila ses skis.
Voilà la native d'Osaka filer telle une étoile dans l'espace spacieux de la piste fermée et dénuée de présence.
C'était à la fois terrifiant et plaisant, d'être seule sur cet amas de neige sans personne à ses côtés.
Le froid fouettait ses joues rebondies d'asiatique tandis que ses yeux scrutaient tels des caméras de surveillance le moindre mouvement suspect.
Elle cherchait un homme assez grand, les cheveux brun foncé et bouclés, portant une parka bleu fluo et des gants noirs.
Tout à coup, quelque chose attira l'attention du cerveau venu d'Asie.
Un choc bien particulier le secoua violemment, avant que l'enveloppe qu'il contrôlait ne tombe dans le manteau de neige puis soit traîné comme le véhicule du Père Noël dans un recoin.
Derrière un arbre, personne n'observa l'homme chauve et maigre comme une allumette serrer de toutes ses forces le cou étroit de Fumiko.
Il l'avait assommée avec facilité, celle-là s'avérait manifestement bien sous-éduquée quant à la nature humaine.
Ses parents, maîtresses et maîtres d'école ne lui avaient-ils donc jamais appris à se méfier des inconnus ?