Elle se réveilla en sursaut, revoyant en boucle l'image d'une tête de chien noire roulant sur le sol. En ouvrant ses paupières, ses cils supérieurs collant ceux du bas à cause des résidus de mascara, elle ne reconnut pas le toit de la tente dans laquelle elle avait dormi. Victoria se releva légèrement, s'appuya sur ses coudes, puis balaya l'intérieur qu'elle devina jaune malgré le manque de lumière.
Hormis l'espèce de tapis sur lequel elle s'était endormie, l'endroit était vide. Mais surtout, aucune trace de son chien. Victoria ne se souvenait plus de rien, depuis le moment où elle avait retrouvé le bout de corde auquel elle avait attaché Sirius, jusqu'à cet instant.
Uniquement préoccupée par son absence, elle l'appela plusieurs fois, la voix rauque, puis se leva d'un bond avant d'ouvrir la tente.
Il faisait nuit noire. Devant elle, à seulement quelques mètres, un feu de bois projetait de petites étincelles.Elle s'en approcha pour se réchauffer, puis tout en frolant les flammes de ses doigts, elle découvrit une assiette fumante remplie de ce qui semblait être de la viande de bœuf grillée, de l'autre côté du feu improvisé. Son odeur fit gargouiller son estomac vide, et c'est seulement à ce moment-là que Victoria se rendit compte qu'elle avait faim.
Elle contourna le feu de bois, huma la senteur de steak cuit qui s'en dégageait. En temps normal, elle aurait été plus méfiante, mais son appétit la poussa à délicatement en attraper un petit morceau. Fronçant les sourcils en apercevant que le morceau de muscle entre ses doigts blancs aux ongles terreux semblait gris, elle l'enfourna dans sa bouche et sans même mâcher, l'avala d'une traite.
Le goût lui déplu, elle en laissa plus de la moitié dans l'assiette blanc cassé. Une fois plus ou moins repue, elle repensa à son rêve - plutôt un cauchemar - ainsi qu'à l'absence de son chien. Saisie d'un mauvais pressentiment, elle cria de nouveau le nom de son berger allemand, paniquée, puis se dirigea au hasard parmi les arbres. En pleine nuit, elle marcha plus d'une heure en appelant Sirius, s'arrêtant parfois pour vérifier derrière un arbre, des buissons, que son chien ne s'y trouvait pas, endormi.
Sa patience fut récompensée : en jetant un coup d'œil derrière un hêtre, elle observa une masse allongée sur le sol, suffisament grande pour être celle de son chien. Elle s'approcha doucement et manqua de trébucher en avançant son pied gauche. La douleur de sa chûte se réveilla, Victoria grimaça puis s'accroupit devant la chose. Ce n'était pas Sirius.
Une femme dormait là, la tête dans les feuilles, les genoux quasiment à hauteur de la poitrine. Curieuse, ses yeux fixèrent le corps immobile, et Victoria étouffa un cri d'horreur lorsqu'elle vit qu'un moignon avait remplacé le bras gauche du cadavre. Seule la partie supérieure de l'arrière-bras avait été épargnée, le reste semblait avoir été arrachée par une bête féroce.
Prise de terreur, Victoria prit ses jambes à son cou, oubliant même la disparition de son chien. Soudain, sa seule idée fut de retrouver l'Audi noire immaculée qui reposait sur les cailloux, quelque part autour de la forêt.
La voiture était introuvable. Pourtant, c'était pas faute de l'avoir cherchée : trois quarts d'heure qu'elle longeait les bois, sans rien trouver de particulier. Elle avait bien essayé d'appeler quelqu'un, sans succès. La forêt semblait se trouver en plein milieu d'une zone blanche.
Son intuition lui dit de retourner dans les bois, peut-être qu'en les traversant elle retrouverait son chemin... Elle bifurqua donc sur la gauche, frissonnant lorsque les branches humides d'un chêne effleurèrent ses cheveux ternes. Au bout d'un moment, elle eut la soudaine impression que quelque chose, ou quelqu'un la suivait de près. Se retournant lentement, l'œil craintif, le cœur battant trop vite, elle cru voir une ombre bouger légèrement derrière un arbre. Son rythme cardiaque s'accéléra encore un peu plus, sa respiration d'ordinaire lente et profonde devint rapide et saccadée. Sans oser vérifier, elle resta plantée là, fixant de ses yeux globuleux aux pupilles dilatées le gros arbre derrière lequel elle imaginait que l'attendait un tueur psychopathe. C'est alors qu'une branche épaisse, qui se trouvait quelques secondes plus tôt bien accrochée à l'arbre qu'elle fixait, tomba sur le sol avec un bruit mat. Exactement là où elle pensait que quelqu'un la guettait. La pauvre femme sursauta, poussa un petit cri plaintif, puis compris que si une chose de la taille d'un homme se trouverait bel et bien derrière l'arbre, vu son épaisseur elle l'aurait entendu la recevoir... Presque rassurée, elle reprit son chemin dans l'autre sens.
Les arbres de la forêt défilèrent chacun leur tour, la plupart grands et imposants. L'air était humide, ses chaussettes trempées à cause du sol mouillé, mais elle n'avait pas le choix d'avancer puisque de toute manière aucun réseau ne captait. Elle se maudit de s'être rendue dans cette forêt. Tout ça pour des gros arbres... Perdue dans ses pensées, elle stoppa ses pas une seconde fois au moment même ou un cri perçant vrilla ses tympans. Une voix aigüe. Appartenant à une femme, sans doute. Dans sa tête, elle revit un bref instant le mouvement derrière l'arbre. Puis la branche qui tombait.
Subitement elle comprit, son cœur s'affola de nouveau, son corps tout entier se mit à trembler. La chose - qui ou quoique ce fut qui l'observait quelques temps plus tôt - la guettait dans l'arbre. Et non pas derrière l'arbre, comme elle l'avait cru. Son sang se glaça, mais cette fois elle n'osa pas se retourner... Les cris semblaient venir de loin, quelque part sur sa droite. De loin, mais assez proche pour qu'elle les entende... Donc pas si loin que ça, finalement. Elle poursuivit sa route, essayant d'empêcher son esprit de lui montrer ce qui pouvait provoquer des cris d'une telle intensité. Des cris de douleur, mêlée à de la peur. Ses pas s'accélérèrent, ses enjambées plus grandes, sa priorité était de quitter la forêt. Pour ce qui est de la voiture, elle verrait plus tard. Sur la route, elle trouverait bien un moyen de retourner en ville...
Sa cuisse droite, légèrement couverte de cellulite, s'arrêta net. Son tibias resta suspendu dans l'air, la pointe du pied vers le sol. À quelques arbres de là, un espèce de cerf efflanqué dévorait une charogne. Son cerveau réfléchit à toute vitesse, sans comprendre ce qui se passait. Ses yeux suivirent le mouvement léger des bois plantées sur la tête de la bête, qui oscillaient ça et là au gré des mouvements de sa mâchoire. Cette dernière se plantait dans la chaire tendre d'un animal étendu sur des feuilles mortes. Un cerf décharné mangeant de la viande. Peut-être tellement affamé qu'il était prêt à dévorer tout ce qu'il trouvait... Elle repensa aux cris qu'elle avait surpris, se demandant si la vue du cerf avait pu les provoquer. L'animal avait la peau sur les os, qui contrastaient étrangement avec ses bois épais et puissants. Comme s'il pouvait entendre les pensées de la femme, l'animal leva sa tête barbouillée de sang. Un morceau d'intestin tomba de sa bouche, occupée à mâchonner sa viande. Ses yeux se plantèrent dans ceux horrifiés de l'intruse qui poussa un hurlement de terreur. Ces derniers s'amplifièrent lorsqu'en mettant son corps de femme debout, une longue chevelure brune encadra le visage émacié de la créature. Elle était sur le point d'attaquer l'humaine lorsqu'un autre wendigo, surgissant dans son dos, brisa la nuque de la femme d'un simple coup de dents. Son sang chaud se répandit sur sa langue avant de couler dans sa gorge. Il balança le corps sur le sol avant d'éventrer son ventre flasque et d'en dévorer le contenu.
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Vantablack
KorkuVoici un recueil d'histoires d'horreur inspirées pour la majorité d'entre elles d'une légende urbaine, d'un fait divers ou bien d'un mythe.