Goran avait tout d'abord refermé tout doucement la porte coulissante du placard de la cuisine. Accompagnée du ballon d'eau chaude, Hedda devrait normalement encore s'y trouver lorsqu'il aurait sorti son fils de la maison. Il comptait ensuite avertir les secours de la présence d'une petite fille, celle-ci s'y cachant dans le but de se protéger d'un intrus d'une certaine façon de nature cannibale.
Arrivé en haut des escaliers, à égale distance ou presque d'Hedda et de la chose partageant les traits de son ancien voisin, le père de Søren cessa soudainement son avancement.
La peur avait figé ses muscles et articulations dans un même mouvement. Il cloua ses pupilles sur son pied gauche levé légèrement au-dessus du parquet, qui aurait dû normalement une seconde après se poser à même le sol.
Or, son instinct de survie le maintenait là, le pied suspendu dans le vide et le corps tout entier bloqué dans une position figée telle une statue.
Au loin, il entendit de légers bruits de pas dévaler les escaliers reliant le premier étage au rez-de-chaussée. Goran frissonna, mais pour autant ne reprit pas sa progression.Il perçut au loin le son familier de la porte d'entrée qu'on déverrouillait puis ouvrait en grand. Rapidement, la température hivernale extérieure rafraîchit son intérieur.
Il crut entendre quelques sons aigus échanger des paroles. Ce qu'il saisit en tout cas bien distinctement furent les pas lourds accompagnés de grognements sauvages que le pishtaco dirigeait lentement vers l'entrée de sa maison.
Un frisson parcourut tout le corps de Goran, bientôt accompagné de la désagréable sensation d'une sueur glacée perlant et s'écoulant tout le long de sa colonne vertébrale.
Pour autant, l'homme n'était pas capable de venir au secours de son fils. Il le savait, la distance séparant ce dernier du monstre barbare se rétrécissait fatalement - et ses chances de fêter son prochain anniversaire aussi.
De la même manière dont son corps était resté figé lorsque la bête avait tué sa femme Galla plusieurs années en arrière, le corps de Goran semblait privilégier sa propre survie à son potentiel sacrifice en vue de sauvegarder celle de sa chair.
Contrairement à son inconscient, l'esprit conscient de Goran cherchait férocement à se libérer de ses chaînes invisibles. Son cœur s'accéléra d'autant plus lorsque la créature se mit à grogner de manière agressive cette fois-ci.
En effet, la porte d'entrée venait de se refermer. Goran n'avait pas entendu le bruit signifiant cette observation, cependant la température se réchauffa bien vite.
Ce qui ne l'empêcha pas de mourir de chaud sous l'effet du stress qui ne faisait que s'amplifier à mesure que son corps grassouillet et négligé ne parvenait pas à s'extirper de son carcan invisible et impalpable.
Brusquement, la bête se mit à courir.
Ses pieds à l'effluve abominable secouèrent les courants d'air encore présents - invités par Søren - et jetèrent le corps étique et crasseux contre la porte d'entrée. Les grognements s'intensifièrent lorsque la bête squelettique atteignit sa poignée puis l'ouvrit avant de sortir du logis.
Goran comprit qu'il ne parviendrait pas à éviter la suite des événements. Son esprit lui montra l'image effroyable de son petit garçon aux orbites désormais vides, les organes sphériques qu'ils contenaient dévorés sous leurs creux vidés par une créature humanoïde qui n'avait plus rien d'un être humain en-dehors de son apparence physique.
Son pied se posa enfin sur le sol lisse du salon. Malgré ses déficiences auditives, il perçut de faibles cris d'enfants terrorisés. Comprenant qu'il était incapable de sauver son propre fils, Goran redescendit sans un bruit et s'apprêta à rejoindre Hedda.
L'homme avait l'intention de l'avertir de son idée de prévenir sa mère, pendant qu'elle resterait en « sécurité ». Avec horreur, lorsqu'il redescendit dans la cuisine et ouvrit la porte du cagibi, il découvrit que celui-ci était dénué de toute présence humaine.