Ésus savait qu'il faisait un rêve lucide. Une seconde auparavant, il s'était posée la question suivante : « Suis-je en train de rêver ? ».
Comme une évidence, la réponse lui était aussitôt apparue. Oui, il était bel et bien en train de rêver.
Ce détail l'arrangeait énormément, pour ne pas dire qu'il lui sauvait la vie. Car en effet, le jeune globe-trotter parti effectuer un road-trip seul aux États-Unis avait fîni par garer sa caravane non loin des Everglades.
Là, l'étudiant en deuxième année de sciences politiques se voyait brûler une bonne partie des calories ingurgitées peu avant d'aller se coucher, cela en conséquence de la course-poursuite féroce que lui livrait un couple d'alligators.
Projetant en avant ses jambes minces et heureusement musclées, Ésus parcourait le sol marécageux des lieux en priant pour que ces bêtes sauvages repèrent une autre proie.
Ou encore mieux : qu'un homme armé - n'était-ce pas fréquent outre-Atlantique ? - abatte l'une puis l'autre de ces gigantesques créatures crocodiliennes à l'énorme mâchoire rectangulaire.
Il avait beau se douter qu'il se trouvait au beau milieu d'un monde virtuel, temporairement créé par son cerveau nécessiteux de charger ses batteries, la scène était effroyable.
Deux monstres dignes d'un mythe ancien ayant parcouru des millénaires ne le lâchaient pas d'une semelle.
On aurait dit que leur endurance était sans fin. Celle d'Ésus cependant commençait doucement mais sûrement à s'atténuer.
C'est dans ces moments-là - fort rares heureusement - qu'il bénissait les heures hebdomadaires passés à brûler ses quadriceps afin de conserver une silhouette athlétique.
En plus des alligators, c'est Riot, le chien de son voisin alcoolique qui possédait un goût prononcé pour la chasse à l'homme...
Jusqu'ici, Ésus était systématiquement sorti gagnant de ce petit jeu - qui n'en était pas un pour le jeune homme, surtout au vu de la forte stature du mastiff - et en ce moment même, il espérait bien qu'il en sera de même concernant ces deux abominations des marais.
L'étudiant n'osait même pas crier, car le moindre souffle, la moindre énergie lui semblait précieuse.
Le temps paraissait durer une éternité, voire pire, ne pas vouloir arrêter de se prolonger.
« Faites que je me réveille » pria le jeune homme de plus en plus épuisé.
Il s'imaginait en sueur dans le petit lit étroit de la caravane, rassuré à l'idée d'avoir échappé à ces satanés créatures imaginaires.
Cet élément le maintenait en vie : les alligators ne pouvaient pas être réels.
Ésus se le répétait encore et encore. Sujet aux paralysies du sommeil de plus en plus fréquemment depuis le début de ses études, l'amateur de sciences politiques avait habituellement le plus grand mal à se tirer de son repos nocturne.
Là, il en venait à espérer que son téléphone sonne, qu'un étranger vienne frapper à la porte, qu'un animal sauvage - tout sauf un crocodile ou un alligator - vienne buter contre son véhicule spécialement loué pour cet ambitieux périple.
Soudain, Ésus sentit son taux d'adrénaline rebondir dans ses veines.
Un troisième corps quadrupède frottant son ventre contre la gadoue avait rejoint le duo.