Guillaume planta avidement sa fourchette dans l'élément principal du contenu de l'assiette que sa mère Marguerite venait de lui remplir.
En son centre, un épais steak dégoulinant de sang cuit, probablement acheté le matin même à la boucherie que la maîtresse de maison affectionnait tant, répandait son jus sur une épaisse purée de pommes de terre maison.
Avec plaisir, il constata qu'une partie des tubercules écrasés l'avaient été de façon grossière, parsemant çà et là la masse soyeuse bien que consistante de morceaux fondants.
L'étudiant en médecine félicita sa mère pour ce repas, alors que son père grogna quant au fait que celle-ci ne leur avait cette fois-ci pas confectionné de sauce.
Ce fait relevait de la tradition, il était habituel, coutumier qu'en accompagnement d'une belle pièce de bœuf, on l'agrémente d'une sauce bien grasse.
Marguerite se leva donc et revint à table avec une mayonnaise initialement préparée pour être mangée avec les crevettes et les langoustines de ce soir.
Effectivement, chez les Janod, on fêtait le retour de leur fils après une dure année de surchauffe intellectuelle comme il se devait.
Ou plutôt, sa mère elle le récompensait comme elle le faisait le mieux, c'est-à-dire en lui confectionnant de bons petits plats, bien loin que ce qu'il se réchauffait chaque jour dans son petit appartement étudiant que ses parents louaient pour lui.
Cependant, un détail chiffonnait ce brillant potentiel futur chirurgien-dentiste : où était donc passée sa petite sœur Léonille ?
Celle-ci venait normalement de clôturer sa première année de lycée, pourtant elle n'apparaissait pas autour de la table.
Son assiette toujours vide et immaculée attendait patiemment que son usagère se manifeste.
Guillaume posa alors la question à ses parents.
Étrangement, son père, qui mâchonnait la pièce de viande abominablement difficile à mâcher pour un morceau a priori de fort bonne qualité parut énervé par cette interrogation.
Il éluda le sujet en ramenant ses études sur le devant de la scène.
Effectivement, ouvrier dans le bâtiment depuis ses dix-sept ans, Luc Janod était plus que fier de répandre le fait que son fils, aîné de la fratrie d'origine à deux membres, avait réussi haut la main sa première année commune aux études de santé alors qu'il venait d'un milieu plutôt défavorisé...
Jusqu'à il y a peu, Léonille envisageait le même parcours, car leur mère aide à domicile leur avait transmis le goût d'aider les autres au plus près.
Mâchant un bout de son steak tel une vache ruminant de l'herbe, le jeune étudiant s'interrogea quant à l'absence prolongée de sa sœur.
Insistant encore et encore, sa mère finit par le lui dire : elle était sortie à la fête foraine avec ses copines et aurait un peu de retard.
Rien de dramatique, termina-t-elle avant de lui demander s'il ne reprendrait pas un peu de purée, étant donné que la première plâtrée qu'elle lui avait donné avait déjà été avalée.
Guillaume refusa sa proposition.
Il n'avait plus assez faim, et préférait garder de la place pour la suite.
Jeter un rapide coup d'œil au sang tiède qui dégoulinait de son steak lui coupa définitivement l'appétit.