Teke-teke.
Dans ses cauchemars, Ikka ne cessait de le voir, ce monstre sans jambe se déplaçant sur la paume de ses mains, le tronc penché en avant, tel un singe.
Et ce bruit, ces petits tapotements qui faisaient frémir le corps même endormi de la complice de Sigrid chaque nuit où elle voyait la chose.
La journée aussi, ce son hantait ses pensées, ne la quittait pas tels les rappels d'huissiers reçus chaque matinée par un surendetté.
Là, elle était sur son téléphone, scrollant machinalement sur Twitter puis Tik Tok de façon automatique lorsqu'un message de Saga apparut dans ses notifications.
« Il est arrivé quelque chose à Sigrid » l'informait sa copine.
Comment ça quelque chose ?
Sigrid s'était-elle fait enlever ?
Ou bien tamponner par un automobiliste peu attentif ?
Ou alors, au contraire, une bonne nouvelle, une annonce heureuse allait bientôt lui être racontée par Sigrid ou Saga ?
Intriguée, elle cessa son va-et-vient entre ses deux réseaux sociaux préférés pour se consacrer à sa discussion avec Saga.
Et d'ailleurs, pourquoi était-ce elle et pas Sigrid qui la prévenait de ceci ?
Poursuivant donc cet échange par voie électronique, Ikka fut rapidement invitée à rejoindre ses amis à l'exact endroit qu'elle fuyait comme la peste depuis des mois déjà.
Les chemins de fer devant la maison de Svea Asheim ?
Sauf en cas de force majeur, il était impossible de traîner la traumatisée sur ces lieux maudits.
Ces cauchemars... elle n'en parlait à personne, pas même à son journal intime à la couverture fleurie que, sans qu'elle s'en doute, son petit frère Augustin lisait quotidiennement avec grand intérêt.
Ce mutisme la rongeait de l'intérieur, d'autant plus qu'elle se savait coupable.
Coupable de sa non-intervention, coupable par omission alors qu'elle savait que Sigrid n'avait aucune bonne intention en tête lorsqu'elle était venue vers elle, l'élève populaire vers cette invisible sans charme spécial, pour connaître l'emplacement exact de la maison de la campagnarde, de son pédophile de père et de sa débile - dans son acception française comme espagnole - de mère.
Néanmoins, il est vrai que l'imaginer pousser l'innocente et trop discrète Svea sur les rails, alors que toutes les trois avaient distinctement remarqué la présence du dispositif de sécurité et donc compris l'arrivée fort prochaine d'un train en marche sur le point de passer à toute allure avait été difficile à imaginer dans ses prévisions.
Ikka revoyait les deux mains sacrément manucurées - ornés d'immenses faux ongles de couleur criarde - se projeter contre le sac à dos de l'intello.
Puis son corps mince et affaibli par les coups de son alcoolique de géniteur glisser sur les rails avant qu'une fraction de seconde avant que les wagons ne passent sur son dos, son ventre s'aplatisse comme une crêpe sur les voies.
La suite était tellement horrible qu'elle avait du mal à s'en souvenir.
Toutefois, il est vrai que la mauvaise influence de la star du collège sur l'insignifiante Ikka lui avait permis d'en petite partie supporter le choc.
En d'autres circonstances, si Sigrid se serait morfondue sur son acte, à coup sûr elle aurait fini par elle aussi passer sous un train.
Mais volontairement dans ce cas.