Partie 117 : Moteur... Action !

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L'agacement qui avait déserté ses traits était de retour. Il avait, durant sa courte absence, déboutonné le col de sa chemise et retroussé ses manches. Incommodé, il m'adressait maintenant un regard sévère.

- J'ai réfléchi, longtemps, à ce que j'avais loupé.

Curieux... Il éludait mes remords.

- Je suis pas sûre de comprendre..., répondis-je confuse.

Il se rapprochait. Lentement. Chacun de ses pas était un supplice que je subissais en silence. À mesure qu'il gagnait du terrain, je redoutais la suite. Il était parvenu à tendre l'atmosphère en l'espace, seulement, de quelques secondes. Je me sentais acculée. Incapable de faire autre chose que d'endurer l'examen scrupuleux de ses pupilles perçantes.

- Moi aussi je ne comprends pas.

L'intensité qu'il insufflait à ses mots était... envoûtante. L'expression de mon regret avait-elle suffi à l'irriter?

- Tu es partie.

Nous y voilà. La suite de notre échange.

- Et maintenant tu veux savoir, si je suis d'accord avec ça ?

Pantoise, face à l'indignation qu'il laissait transparaître, je reculais jusqu'à heurter, de mes jambes, le canapé. Il soulignait, à juste titre, mes incohérences mais semblait délibérément ignorer les siennes.

- Non je ne suis pas d'accord. Non je ne veux pas.

La virulence de sa réponse m'acheva. Le corps tremblant, j'étais incapable de protester. Il était partiellement responsable de cette situation. Je n'avais pas fui sans raison. Le lourd passif qu'il trainait n'était pas une chose qu'on pouvait tout simplement écarter.

- Dis-moi plutôt pourquoi toi tu veux ?

Une question qu'il me souffla au visage. Nous n'étions plus séparés que par un infime espace. Le rythme cardiaque galopant, j'essayais de maîtriser mes émotions.

- Pourquoi ça ne te pose aucun problème de m'ignorer pendant une aussi longue période ?

Il frola mon oreille, caressa, du bout des doigts, ma joue, ma bouche ... tandis que j'encaissais son affliction.

- Noah...

Je couvris de ma main la sienne. La vague de chaleur qui inonda mon bas-ventre m'invitait urgemment à m'éloigner. Je manquais de me vautrer en essayant de lui échapper. Foutu canapé. Hypnotisée par son toucher, je l'avais oublié... Il me saisit par la taille m'évitant ainsi de perdre l'équilibre.

- Je ne sais pas si...

C'est une bonne idée. Trop tard. Il avait, une fois encore, brisé la barrière que je tentais en vain d'ériger. Un seul baiser avait suffi. Je cédai. Je ne pouvais pas être la seule à contrôler mes pulsions. Je ne pouvais pas être la seule à me montrer raisonnable. J'en avais envie aussi. La rencontre de nos lèvres, de nos langues, de nos êtres... L'espace d'un instant, j'oubliais tout. Là, maintenant, je le voulais autant qu'il me voulait. Happée par les picotements de sa barbe, par le jeu de ses muscles, par la pression de ses lèvres sur mon cou... De mes doigts, j'agrippais fermement ses cheveux et l'appelais à continuer. Combien de fois avais-je rêvé de ce moment ? Combien de mois d'abstinence m'avait-il fallu endurer ? Je l'avais désiré à l'instant même où mes yeux s'étaient posés sur lui. Au gala.
À bout de souffle, nous dûmes nous séparer. Alors que nous avalions à grandes goulées l'oxygène dont nous avions privé nos poumons, je réalisais, avec effroi, l'étendu de mon erreur. De notre erreur. Je n'étais pas venue pour ça. Rien n'avait changé. Enfin si, nous venions d'ajouter un noeud à une situation déjà bien emmêlée.

- Je dois y aller.

Il emprisonna, de sa main, mon poignet.

- Reste.
- On aurait pas dû...
- Pourquoi ?

Je voulais effacer ces lignes de contrariété que mon propos avait fait naître. Je voulais retrouver l'ardeur qu'il m'avait témoigné. Mais je ne pouvais pas me laisser aller aux besoins primaires que sa proximité éveillait.

- Florian.

Il me relâcha aussitôt. J'avais prétendu être avec Florian. Je devais continuer à jouer le jeu. D'une part, parce que ça m'évitait de foncer tête baissée dans une histoire qui n'aboutirait à rien de bon. D'autre part, parce que ma relation avec Florian n'était pas platonique ou résolue. La restriction était de mise. Je ne lui avais formellement rien promis. Mais je n'avais formellement rien écarté non plus. Je venais avec Noah de trahir mon éthique. Je ne voulais mener personne en bateau. Je craignais de le faire en agissant de façon aussi inconsidérée.

- Quitte-le.

La poitrine assaillie par une soudaine douleur, je le dévisageais.

- Quoi ?

Avait-il conscience de ce qu'il me demandait ?

- Quitte-le , répéta-t-il.

L'assurance que ses iris argentés renvoyaient me paralysa. La requête était sérieuse. Si Florian n'était pas une excuse suffisante, il me fallait aborder le sujet que je rechignais depuis quelque temps à évoquer.

- Et ta promesse ?

La promesse qu'il lui avait faite sur son lit de mort.

- À Amane , précisai-je comme si ça n'était pas évident.

Il s'éloigna. L'évoquer avait suffi. J'avais obtenu gain de cause. Pourtant, je me sentais mal. Elle avait suffi. L'amour qu'il lui vouait avait suffi. Les ongles enfoncés dans mes paumes, je ravalais ma salive et avec elle l'amertume générée par ces constats. Je n'étais pas assez. Pas assez pour qu'il revienne sur sa promesse.

- Ne me dis pas de le quitter, repris-je amèrement.

Une main sur la nuque, les yeux rivés au sol, il se mordit la lèvre inférieure.

- Tu ne l'as pas quitté toi. Elle est toujours là.

Je piquai de mon index son thorax.

- Tu ne comprends pas, reprit-il d'un ton presque cassant.
- Ok. Explique-moi alors.

Rien. Pas de réponse. Le silence. Comme d'habitude...

- Tu vois. C'est pour ça.

La rancune qui modulait ma voix était, même pour moi, inattendue.

- C'est pour ça que je suis partie.
- Jena...

Je récupérai mon sac qui sous ses assauts langoureux avait fini au sol.

- Non. Tu n'as pas le droit de me faire ça. J'ai assez souffert.
- Je sais.
- Non tu ne sais pas.

J'avais chaud. J'avais mal. J'avais envie de fuir. Il réduisit à nouveau la distance qui nous séparait. J'usai aussitôt de mes avants-bras pour l'empêcher de s'approcher davantage.

- Reste où tu es.

Il se figea. Il n'avait pas le droit d'exprimer cette peine que je lisais dans ses traits. Il était la cause de tout ça.

- Je suis désolé, murmura-t-il.

Ravale tes larmes Jena. Ta fierté en dépend.

- Je vais y aller.
- S'il-te-plaît...

Le pas en avant qu'il opéra m'amena instamment à faire un pas en arrière. Il s'excusa encore. Se rapprocha encore. Je reculai encore. Je l'autorisais, au bout de la quatrième fois, à me prendre dans ses bras. J'acceptais, au bout de la cinquième fois, ses excuses. Après de très longues minutes, nichée dans son torse, je m'écartai.

- Je dois vraiment y aller.

Il acquiesça silencieusement. Il me fallait renoncer. Il me fallait abandonner une relation que je savais toxique. Je valais mieux que ça. Je méritais mieux.

Déboires chroniquesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant