Partie 128 : question de peur

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Les platanes faisaient ombrage à la maison de campagne près de laquelle nous venions tout juste de nous arrêter. Les branches, à feuilles larges et dentées, touchaient presque la vieille façade en brique. Les volets en bois et la toiture en terre cuite accentuaient le style rustique de l'édifice. L'habitation, au cœur d'un bocage et face à une petite mare, transpirait la quiétude. Une quiétude dont j'avais grand besoin.

- On y est, m'annonça Noah en coupant le contact.
- On est où ?
- Chez moi.

Le soleil m'adressa un chaleureux accueil. J'étais barbouillée. La route avait été plus longue qu'espéré, le réveil plus rude que prévu et les échanges plus houleux qu'anticipé. La brise atténua un chouïa, de son délicat touché, mes désagréments.

- La musique est faite des bruits de la nature et des soupirs de l'âme.

Interdite, je dévisageais Guesdes espérant secrètement qu'il explicite son propos. Je craignais, en l'interrogeant, d'exposer l'étendue de mon ignorance.

- Ferme les yeux.

Je soutins son regard un instant. Il insista. J'obtempérai.

- Écoute.

Les piaillements des oiseaux, l'écoulement de l'eau, l'agitation des branches et le sifflement du vent se mêlaient pour former une mélodie envoûtante. Le silence parvenait étrangement à s'infiltrer parmi les accords. Je n'avais jamais été une grande adepte de la méditation mais les vertus de cet instant contemplatif m'invitaient au changement. L'esprit cesse de ressasser. Enfin connecté, vous comprenez à quel point vous êtes insignifiant dans cet univers peuplé d'une infinité de miracles. Les pensées qui vous rongent paraissent dérisoires voire inconvenantes. Et pourtant ... Pourtant rien n'empêche l'homme de façonner un microcosme au sein duquel il se rend incontournable et omnipotent. Une illusion que la nature se plaît à ignorer. Si demain vous n'êtes plus, le monde continuera de tourner, les oiseaux de chanter, les courants d'eau de s'agiter, les arbres de danser et le vent de s'emporter. La profonde expiration de Guesdes me tira de ma rêverie.

- Les soupirs de l'âme ?

Il m'adressa un large sourire. Les fossettes, expression de son éphémère gaieté, attirèrent aussitôt mon attention.

- Exactement.

Il ouvrit la voie menant à son charmant pavillon.

- Henri de Régnier.
- Qui ?
- Le poète.
- Ah ton élan romantique.

Il se tourna pour capter mon regard.

- Mon élan romantique ? , répéta-t-il incrédule.
- Oui tu sais cette manie que tu as de citer des poètes, de contempler la nature... Ton côté fleur bleue quoi !

Il écarquilla les yeux.

- C'est la première fois qu'on te le fait remarquer ? , demandai-je à présent franchement amusée par sa réaction.

Il éclata de rire. Le corps secoué de légers spasmes, les traits plissés, les yeux rivés sur moi et le son qui s'échappait de sa gorge interrompue parfois par de petites inspirations offraient un spectacle dont je ne pouvais me lasser.

- J'aime bien ton côté fleur bleue, admis-je.

Il tamponna ses yeux humides. L'atmosphère se transforma. De légère et paisible à électrique et tendue. Tourne sept fois la langue dans ta bouche avant de parler ! Le regard acier qui m'englobait était ... intense. Il me tendit la main.

- Viens.

Craintive, je restais immobile.

- Je vais te faire visiter, précisa-t-il.

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