Partie 129 : la boite de Pandore

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Les marches craquèrent sous nos pas. La porte, une fois ouverte, révéla une pièce bien moins poussiéreuse et antique qu'imaginé. La fenêtre de toit éclairait abondamment l'espace. Je balayais du regard les lieux. Rien à ce stade d'inquiétant ou d'inhabituel. Des commodes de différentes tailles côtoyaient des cartons scellés par plusieurs tours de scotch. Des livres , sur ma gauche, menaçaient, à tout moment, de rompre l'équilibre précaire qui les maintenait empilés sur un caisson en bois clair. Trois tapis couvraient presque intégralement le parquet. Les recoins, investis par plusieurs chaises, un fauteuil à bascule et deux lampadaires, invitaient l'occupant, armé d'un bon livre, à y séjourner. Un bureau, installé près de l'unique et généreuse source de lumière, était envahi par ce qui semblait être des esquisses. Intriguée par le chevalet sur lequel reposait une toile inachevée, je me détachai de Guesdes pour me rapprocher de l'atelier. Une série de tableaux, entassés au pied du mur, me faisait de l'œil.

- Qui est l'artiste ?
- Tu les trouves comment ?
- Je peux ? , demandai-je en désignant de mon index l'objet de ma curiosité.

Il acquiesça.

- Je t'en prie.

Je manipulais délicatement les œuvres, les consultais comme les pages d'un livre qu'on se tâte à acheter. Survolant certaines, m'attardant sur d'autres. Je tirai du lot un portrait de famille que je déposai sur la table de travail après en avoir libéré l'accès. J'ignorais les raclements de gorge d'un Noah gêné par l'attention que je portais à cette peinture.
Au premier plan, deux enfants, une fille aux coudes plantés au sol, les mains soutenant ses joues rondelettes, les yeux rivés sur un livre dont la lecture semblait, à son expression, captivante. Près d'elle un garçon, endimanché, adressait un chaleureux sourire à ses grands parents.
L'homme aux cheveux éparses et à la barbe grisonnante confortablement installé dans son fauteuil serrait tendrement le bras de sa femme. Le temps avait à peine altéré les traits majestueux de cette dernière. L'acier de ses iris m'était familier. Elle projetait, par sa simple présence, une douce sérénité. Les couleurs lumineuses, chaudes dans lesquelles baignaient les personnages contrastaient fortement avec les tons sombres employés pour composer, ce que je supposais être, les figures parentales. La mère, de dos, observait depuis la fenêtre l'extérieur. Le père, debout près du porte-manteau, se préparait à sortir.

- On ne voit pas leurs visages, constatai-je.
- Non.
- Ils sont là sans l'être, poursuivis-je.

D'un bref hochement de tête, il approuva ma déduction.

- C'est toi qui l'as peint ?
- D'après toi ?
- Je reconnais le salon.

La joue droite creusée par un demi-sourire, il se rapprocha.

- La déco a pourtant bien changé depuis.
- Vous avez l'air d'être très proche de vos grands-parents.

Il se frotta la nuque. La nostalgie qui anima son regard était touchante.

- On l'était.

Un froncement de sourcils plus tard, il se fendit de quelques explications.

- Mon grand père est mort quand j'étais ado.

Il croisa les bras comme il le faisait souvent lorsqu'on l'amenait à aborder des sujets inconfortables.

- Mes parents pensaient que c'était déraisonnable de laisser ma grand-mère vivre seule dans une maison aussi grande et isolée. Ils l'ont placé dans une résidence pour personnes âgées. Elle est morte deux ans après.

Des grands parents qui ont su compenser l'absence de parents brutalement indifférents. Orphelins d'un amour perdu trop tôt.

- Je suis désolée.

Déboires chroniquesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant