Partie 143 : Apollon

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J'ajustai mon pantalon taille haute en apercevant mon reflet dans la vitrine d'une boutique. La coupe classique et évasée contrebalançait l'audacieuse couleur carmin du tissu et mettait subtilement en avant ma silhouette. Le bustier noir couvert d'une fine couche de dentelle révélait un discret décolleté. J'avais, à l'aide de quelques rouleaux, accentué l'ondulation de mes cheveux. Un trait d'eye-liner sur chaque paupière et un coup de rouge à lèvres produisirent l'effet escompté. Regard ouvert et bouche charnue... Du parfum, quelques accessoires et une paire de talons complétèrent la tenue.
Je n'avais rien laissé au hasard. Mon apparence était une défense nécessaire. Je comptais dessus pour préserver ma dignité et dynamiser ma confiance. J'espérais aussi, secrètement, le troubler. Lui qui prétendait ne vouloir me causer aucune peine. Lui qui avait juré de ne pas me faire courir. Lui qui me faisait miroiter un amour réciproque. Il me savait craintive. Prête à fuir à la moindre incartade. Plus je m'enfonçais dans cette relation plus elle me paraissait complexe. Nous avions déjà assez à faire avec nos traumatismes respectifs sans y ajouter une couche de drame supplémentaire.
Je ne parvenais pas, malgré ma méfiance naturelle, à croire en la duplicité de l'homme que dépeignait inconsciemment Agathe. Je ne pensais pas Guesdes capable d'une telle fourberie. Il me paraissait sincère et soucieux des autres.
Mais je ne possédais pas non plus, concernant les hommes, un jugement très fiable. Ne m'étais-je pas déjà laissée berner par Salam ? J'avais tout donné pour ne recevoir en retour que mépris et indifférence.
L'estomac tordu d'angoisse, j'inspirais, à longues goulées, un air frais et abondant. Le digicode entré, je poussai la lourde porte et pénétrai dans l'immeuble dont le hall, une fois ma présence détectée, s'éclaira. Je tortillais nerveusement le ruban de la boîte qui m'encombrait les mains. Je n'étais plus qu'une boule de nerfs face à l'inéluctable. J'appuyai sur la sonnette pour signaler ma présence à la maîtresse des lieux.

- Jena ! , s'exclama Agathe comme si j'étais une heureuse surprise.

Je la saluai et lui tendis le plateau de pâtisseries. Elle m'invita à entrer. Je cherchais aussitôt Noah du regard.

- Ils ont un peu de retard, m'annonça-t-elle.

Mince. Prise en flagrant délit. J'adoptai immédiatement un air détaché et impassible. J'espérais être suffisamment douée pour leurrer mon monde.

- Mais Marc est là. Viens je te le présente.

Marc ? Marc ! Malgré mon évidente réticence elle avait mis à exécution son plan. Une petite leçon sur le consentement ne lui ferait pas de mal...

- Marc, Jena. Jena, Marc.

Elle nous désigna respectivement d'un geste de la main.

- Je vous laisse faire connaissance ! lança-t-elle avant de s'éloigner pour accueillir le nouveau venu.

Marc avait le profil typique du gendre idéal. Imberbe, le front ample, des cheveux bruns épais, une corpulence moyenne enveloppée dans un polo blanc et un pantalon chino bleu marine. Il m'adressa un sourire gêné. Après un rapide coup d'œil à ses mocassins en daim couleur sable et un pesant silence, je déglutis et entamai maladroitement la conversation. Le boulot était un sujet d'accroche facile qui permettait, quand on n'avait pas grand chose à se dire, de meubler. Alors que je lui expliquais mon domaine d'études, Agathe nous interrompit pour introduire Joaquín. Un espagnol installé depuis trois ans dans la région. Malgré leur apparente familiarité Agathe et Joaquin ne s'étaient rencontrés que très récemment. Leur relation, vieille d'un mois, était déjà bien avancée. Comment parvenait-elle à ce niveau de confort et intimité en si peu de temps ? Le problème, c'est toi. Les mots cruels que me murmurait ma conscience assiégeaient ma cage thoracique. Une chape de plomb obstrua ma poitrine. Cette soirée ne faisait que commencer. Si je voulais en ressortir indemne, je devais m'endurcir. Je ne pouvais pas laisser mes complexes ronger mon bon sens.

Déboires chroniquesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant