- Non, assena-t-il aussitôt.
- Non ?! , répétai-je en le repoussant.
- Non.
- Pourquoi ?
- Plus tard.J'installai un espace raisonnable entre nous. Contrarié d'être mis à distance, il soupira, se frotta les yeux pour dissiper la fatigue avant d'ajouter :
- Et je ne suis pas sûr de vouloir entendre ce que tu as à dire...
Je n'avais pas le choix. Je devais m'éloigner. La sensation de sa peau sur la mienne me donnait envie d'envoyer tout valser, de me perdre dans la profondeur de ses yeux gris, de presser mes lèvres contre les siennes.
- Il n'y pas de meilleur moment que le présent.
- Jena ...
- Noah.Le cuivre de mes iris affrontait l'acier des siens. Je ne devais pas flancher. Les palpitations de mon cœur répondaient à l'inquiétude de ses traits. Je ne pouvais pas me laisser détourner de mon objectif. Je ne pouvais pas me laisser attendrir par ses louables intentions. J'étais dans un état lamentable. La coiffure défaite, les yeux bouffis, ... visiblement chamboulée. Il cherchait à me ménager.
- Après, s'entêta-t-il.
- Non maintenant, insistai-je à mon tour.J'étais, malgré les apparences, résiliente. Je ne voulais pas qu'il me traite comme un objet fragile qu'on manipule avec délicatesse.
- Pourquoi maintenant ? Qu'est-ce que ça change ?
- Parce que... parce que !Le triste sourire que ma pauvre repartie provoqua m'était douloureux. Il était peiné. Mais par quoi ? Devinait-il ce que je souhaitais lui dire ? « Ne me quitte pas». Jamais une phrase ne m'avait paru si tranchante. Il exposait rarement aussi ouvertement cet aspect de lui. Fragile, brut, sans aucun artifice.
- Ah vu comme ça, ironisa-t-il.
Les poings enfoncés dans mes cuisses pour me donner du courage, j'inspirai silencieusement une bouffée d'oxygène.
- Il faut qu'on parle avant que mes sentiments pour toi m'en empêche.
Je m'étais débarrassée de ces mots comme d'une épine plantée dans le pied. Je détestais admettre à quel point Guesdes était devenu essentiel à ma vie. C'était admettre une faiblesse. J'avais peur de ce qui se cachait dans les abysses de cette relation. Malgré mes réserves, j'avais pris mon courage à deux mains et plongé. Mais j'avais beau nager à contre courant je ne parvenais pas à atteindre la rive. Pire, je me laissais emporter par le puissant cours d'eau. J'espérais peut être que céder à cette force implacable aboutirait à une heureuse issue. Je comprenais, progressivement, douloureusement, que je me berçais d'illusions. La noyade. Voilà ce qui me guettait. Sauf si je me reprenais. Sauf si je laissais mon instinct de survie prendre les commandes. Sauf si je rejoignais la terre ferme.
- Tes sentiments ?
Percevais-je dans l'inflexion de sa voix une pointe d'étonnement ? N'était-ce pas évident ? J'étais pourtant persuadée qu'il m'avait depuis longtemps percée à jour. Je n'étais pas comme lui. Je ne parvenais pas à dissimuler mes pensées, mes émotions. Elles transparaissaient inévitablement. Je montrais plus que ce que je ne souhaitais révéler.
- Oui mes sentiments. S'ils prennent le dessus ... On ne peut pas remettre cette discussion à plus tard.
- Laisse-les prendre le dessus.Il tendit momentanément sa main vers moi avant de se figer. La respiration lourde, les doigts, posés maintenant sur le matelas, pointés dans ma direction, il déglutit. Tout chez lui m'appelait à succomber. Je combattais cette force invisible qui s'acharnait à nous unir en puisant dans le peu d'énergie que j'avais encore en stock.
- Non, tranchai-je.
Immobile, aux aguets, il analysait, par de furtifs mouvements de pupilles, chacun de mes gestes. Je ne lui apportais rien de bien. Rien sauf de l'inconstance et de la difficulté. Je culpabilisais.
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Déboires chroniques
ChickLitLa vie est loin d'être un long fleuve tranquille. Les espoirs, les idéaux, l'utopie que notre esprit engendre sont mis à mal par les épreuves jalonnant notre chemin. La solidité des liens amicaux et amoureux est testée durant ces épreuves. Jena, ét...