Il resserra son étreinte et me rendit avec une ardeur renouvelée la moindre de mes caresses. Je baladai mes mains sur le haut de son corps appréciant, au passage, chacune de ses courbes. Il déposa le long de mon cou une série de baisers. La sensation de ses lèvres sur ma peau manqua de me faire perdre l'équilibre. Un équilibre qu'il brisa l'instant d'après lorsqu'il me renversa.
À présent dos au sol, bassin contre bassin, le frottement de sa barbe sur mon visage me délectait les sens. Plus. J'en voulais toujours plus. Plus de lui. Plus de nous. Y avait-il un fond à ce puit dans lequel nous venions de tomber ? La chute était vertigineuse, vivifiante. Nous étions, l'un comme l'autre, engloutis par nos désirs. Comment avais-je pu les faire taire aussi longtemps ? Quand avaient-ils pris cette ampleur ?
Soudain, il s'arrêta. Il s'écarta et s'allongea près de moi. Inquiète, confuse, je regardais son torse se soulever et s'abaisser. À bout de souffle. À bout de moi ? Malgré nos effusions je le sentais encore ... contrarié. Il expira profondément tandis que je tapotai du bout des doigts ma bouche endolorie par la morsure de ses dents et la pression de ses lèvres. Les battements de mon cœur résonnaient partout. La main contre la joue, le corps tourné vers lui... Le déchaînement cardiaque provoqué par nos ébats avait trouvé dans mon oreille droite une singulière succursale.
Le vide entre nous. Une distance de sécurité qui cette fois n'était pas de mon fait mais du sien. Il évitait le contact. Physique et visuel. Le masque d'indifférence qu'il se plaisait à arborer lorsqu'il cherchait à maîtriser sa colère était pourtant étrangement absent. Plusieurs minutes s'écoulèrent avant que, l'estomac noué, je ne mette fin à ce pesant silence.- Tu veux que je parte ?
Des mots que je prononçais avec beaucoup de difficultés. Étais-je capable d'encaisser un rejet ? Oui. De sa part ? Non. Il fronça les sourcils. Il s'obstinait à fixer des points hasardeux. Un nuage, le sol, une branche d'arbre. Tout plutôt que moi.
- Quoi ?
L'agacement que laissa transparaître sa voix suffit à me convaincre.
- Il y a des secrets qu'il vaut mieux garder pour soi, répliquai-amèrement en me redressant.
- Vraiment ?
- Oui, vraiment.
- Tu t'enfonces, rétorqua-t-il sobrement.J'arrachai l'herbe capturé par le croisement de mes jambes.
- J'ai menti...
- On y est.
- Pour la bonne cause.Il se releva à son tour. Ma provocation avait atteint son but. Il communiquait. L'acier tranchant de ses yeux me transperçait de part et d'autre.
- La bonne cause, répéta-t-il en articulant à outrance.
- Oui, soutins-je avec un peu moins d'assurance que souhaité.
- Tu m'as menti.
- On tourne un peu en rond là, m'exaspèrerai-je.Il releva sa jambe droite et posa son front sur son genou. J'étais ... perturbée. Perturbée de le voir autant atteint. L'intensité de ses baisers m'avait laissé croire le contraire. J'avais fait le premier pas. Il avait mené la danse.
- Est-ce que ça t'arrive souvent ?
La tempe gauche à présent soutenue par le dos de sa main, il attendait une réponse à une question qui n'avait de sens que pour lui.
- De ?
- De mentir.La connexion venait de se faire. Je percutais enfin l'origine du problème. Il ne m'avait jamais explicitement reproché ma relation avec Florian. Nous voir ensemble ne l'enthousiasmait pas et il préférait la plupart du temps ignorer son existence mais il avait accepté mon choix. Un choix que j'avais fait au moment le moins opportun. Au moment où il s'ouvrait à moi, exposait ses faiblesses, ses vices... Au moment où il cherchait à me rassurer, à me montrer que tout comme moi il était tributaire de son passé. C'est à ce moment-là que j'ai créée de toutes pièces une histoire aussi solide que le mur encerclant le cœur de Guesdes. C'est à ce moment-là que j'ai menti. Le mensonge. La source du mal, son talon d'Achille. Il avait fait confiance à Amane. Elle avait trahi cette confiance en dissimulant la vérité. Quelle conclusion devais-je tirer de sa réaction ? La jalousie n'était pas son catalyseur. C'était elle.
- Non. Seulement quand la situation l'impose.
Rembrunie par cette soudaine prise de conscience, je m'allongeai à nouveau et fermai les yeux. Je ne voulais plus rien voir. Je voulais être réconfortée par le déni et bercée par l'oubli.
- Explique.
Un simple mot prononcé avec une certaine gravité. Une voix modulée par une tension presque palpable. Il ne m'aimerait jamais. Jamais comme elle. Puisque je n'avais rien à perdre autant jouer carte sur table.
- J'ai une expérience quasi traumatique avec les hommes.
Les yeux clos facilitaient la confidence. C'était plus simple de s'imaginer seule. Ça évitait d'appréhender la réaction de l'autre et rendait le lâcher-prise plus évident. On ne surveillait pas ses propos par peur de trop en dire. C'était un peu comme chercher refuge sous la couverture lorsqu'enfant on craignait qu'un monstre ne vienne nous dévorer en pleine nuit.
- J'aime mon père. Il a un parcours admirable. C'est un homme courageux et résiliant. Mais il n'a jamais été à l'aise dans son rôle de père ou de mari. C'est peut-être parce que la vie ne lui a pas donné cette chance. Il n'a pas eu une enfance facile. On peut même dire qu'il n'a pas eu une existence facile. Et même si je comprends tout ça, je ne peux pas m'empêcher d'être blessée par ses fautes. J'aimais aussi mon frère mais nous avions une relation ... conflictuelle. Il n'a pas toujours pris les bonnes décisions. Et j'en ai souvent subi les conséquences.
Une douleur, familière et diffuse, compressa ma cage thoracique. Une douleur avec laquelle j'avais appris à vivre. Une visiteuse indésirable qui faisait de régulières apparitions.
- J'ai quand même décidé de surmonter tout ça et de m'ouvrir à un homme. J'ai rencontré Salem et naïvement je me suis plongée dans cette relation en espérant y trouver mon bonheur.
Je grimaçai à l'évocation de mon ex. Il avait eu l'audace de m'écrire. L'audace de m'adresser un message affectueux, d'espérer une rencontre. Avant que le rictus amer qu'il m'inspirait ne s'aggrave, je décidai de chasser ce désagréable souvenir de mon esprit.
- Je suis tombée amoureuse mais malheureusement, pas lui. Il préférait me voir courir. Courir après lui, courir après un amour qu'il ne me donnerait jamais. Je ne veux plus courir après ça. Je ne veux plus courir après personne. Je ne veux plus souffrir de ne pas être aimée ou aimée de la mauvaise manière. Donc oui. Oui j'ai menti. J'ai menti pour la bonne cause.
Les bruits subtils d'un corps en déplacement, les notes musquées d'un parfum qui ne manquait jamais de faire effet et une présence planant au-dessus de moi m'obligèrent à sortir du déni, à ouvrir les yeux, à encaisser son regard. Le regard d'un homme qui ne voyait que moi. Un regard dont on ne pouvait se détourner. Il imposait le silence. Il ne laissait place à aucune remise en question. Prenant appui sur le sol, son buste parallèle au mien, il s'approcha et, la mine sévère, murmura :
- Est-ce que tu veux prendre tes distances ? Arrêter tout ça ? Nous ?
Je retroussai mon nez et tachais, tant bien que mal, de ne pas laisser le souffle chaud de ses lèvres charnues dévier mon attention.
- C'est trop tard.
- Pourquoi ?Les marques de contrariété sur son front, la bouche pincée, les pupilles dilatées... L'obscurité apportée par mes paupières closes m'avait permis de m'exprimer librement. Mais je n'étais pas seule sous cette couverture à fuir les monstres révélés par la nuit. Noah avait reçu mes mots et tentait visiblement de m'apporter une solution. Il était prêt à disparaître. À me rendre ma quiétude d'esprit.
- Je crois que je cours déjà.
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Déboires chroniques
ChickLitLa vie est loin d'être un long fleuve tranquille. Les espoirs, les idéaux, l'utopie que notre esprit engendre sont mis à mal par les épreuves jalonnant notre chemin. La solidité des liens amicaux et amoureux est testée durant ces épreuves. Jena, ét...