Partie 35 : sombre ombre

18 3 1
                                    

Cinq jours s'étaient écoulés depuis "l'incident". J'étais en pilote automatique. Je m'acquittais de mes obligations scolaires et m'enfermais, le reste du temps, dans ma chambre. L'angoisse et le malaise m'entravaient. Je ne parvenais pas à chasser cet épais brouillard qui obscurcissait mon humeur.
Rien d'étonnant. Chacune de mes crises était suivie d'une dépression à durée indéterminée. Cet état me dépassait. Je me laissais très souvent porter par la vague de désarroi tout en espérant secrètement ne pas me noyer dans les eaux profondes qu'elle rejoignait.
Je m'isolais. Je ne communiquais que très peu avec mon entourage. Je n'avais envie ni d'expliquer ma situation ni de prétendre que tout allait bien.
Hannah avait très vite compris ce qui se tramait. Elle rendait sa présence dans l'appartement plus visible. Le cliquetis de la serrure et le grincement de la porte l'alertaient généralement de mon arrivée. Elle occupait alors le salon ou la cuisine. M'invitant, de façon subtile, à lui parler. Ce que je me refusais à faire.
De temps à autre, elle laissait sur la table un repas avec un petit mot précisant qu'il m'était destiné. Mais je n'avais plus aucun appétit. Je me contentais, pendant cette période, de m'hydrater et d'avaler une bouchée ou deux du premier aliment qui me tombait sous la main. J'avais l'estomac trop noué pour me nourrir correctement. Noué par l'appel téléphonique que j'avais enfin eu le courage de passer. Noué à l'idée que j'allais rendre visite à mes parents ce samedi.
La nuit je me retournais dans mon lit, encore et encore, sans trouver le sommeil.

Comment réagirait ma mère ? Que dirait mon père ? Me blâmeraient-ils ? Je ne les avais pas vu depuis deux mois, pas appelé depuis 5 semaines. Quelle fille horrible j'étais !

Les questions se bousculaient dans ma tête. Les incriminations aussi. Il était quatre heures du matin lorsque, enfin, je m'endormis.
Les rideaux tirés, la lumière éteinte. Je me réveillai dans la pénombre et tâtonnai à la recherche de mon téléphone. J'ignorai les appels en absence et les multiples messages que j'avais reçus ces derniers jours et auxquels je n'avais prêté aucune attention.
Il était dix heures et demie. Je retirai mon t-shirt pour enfiler un sweat. Je conservai le jogging dans lequel j'avais passé la nuit.
J'ouvris le robinet de ma salle de bain pour me rafraîchir le visage. Je sortis de sous mon lit un sac de sport dans lequel je mis une tenue de rechange et une trousse de toilette.
Basket au pied, blouson sur le dos et sac sur l'épaule droite, je laissai un mot à Hannah l'informant que je découchai. Je ne souhaitais pas l'inquiéter davantage. Elle s'était toujours montrée très prévenante. Je dévalai les escaliers de mon bâtiment et ouvris la porte du hall. Un pas puis deux avant que je ne me fige complètement.
Après une semaine d'absence, il était là. Grand, élancé, regard d'acier, bras croisés, barbe de trois jours, menton contracté. Il était là. Ravi ? Pas le moins du monde. Le masque d'indifférence qui dissimulait son agacement était également là. Je me vis l'ignorer. Je me vis lui tourner le dos. Je me vis marcher d'un bon pas pour mettre de la distance entre nous. Un seul objectif en tête. Rejoindre la gare. Affronter mes démons. Pas m'en créer de nouveaux.

Déboires chroniquesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant