Partie 56 : carapace

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Je tournais en rond depuis cinq minutes tentant, en vain, de lire mes notes lorsque la sonnerie retentit. Hannah avait-elle écourtée sa séance de révision à la bibliothèque ? Peu probable. Je soupirai. Je n'attendais personne et après l'humiliation que je venais d'essuyer il valait mieux limiter, au moins jusqu'à la fin des examens, mes interactions avec l'extérieur. J'ouvris mon ordinateur. J'avais encore des recherches à effectuer pour parfaire mes fiches. Je craignais toujours de louper des points importants. Je relisais et complétais souvent mes supports sans parvenir pour autant à me défaire de cette impression. Nouvelle sonnerie. Plus insistante, cette fois. Je décryptai une décision du Conseil constitutionnel lorsque une voix masculine héla mon nom.
Je quittai prudemment le tapis sur lequel je venais de m'installer pour m'approcher de l'entrée. Avais-je bien entendu ? J'actionnai la poignée et entrouvris la porte. Je m'apprêtai à la refermer quand le pied de Noah m'en empêcha.

- À quoi tu joues ?! , grogna-t-il.
- Ça vire au harcèlement Guedes !

Il infiltra une épaule dans l'entrebâillement et exerça une légère pression pour en élargir l'ouverture. Je finis par abdiquer. Je relâchai soudainement ma prise. Il perdit l'équilibre, trébucha et évita la chute en agrippant mon bras. Nous étions très proche. Trop proche. Je sentais son souffle chaud caresser ma peau. Son visage était à quelques centimètres du mien. Il m'avait entendu vomir. Ce constat me fit perdre mes moyens. Cherchant rapidement à m'éloigner, je faillis, à mon tour, me vautrer. Il me rattrapa in extremis.
Une jambe entre les miennes, un bras derrière le dos et une main sur mon épaule. Bien joué ! En voulant échapper à une situation gênante j'en avais créée une encore plus embarrassante. Quelque chose heurta lourdement le sol.

- Merde, laissa-t-il échapper.

Légèrement inclinée, il me ramena vers lui, laissa glisser ses mains le long de mes bras et enroula ses doigts autour des miens.

- Tu es glacée, commenta-t-il.

J'avais effectivement froid. Mais le frisson qui me parcourait l'échine était de son fait. Déroutée par cette proximité et craignant qu'il s'en aperçoive, j'installai rapidement de la distance entre nous.

- Tu as oublié quelque chose ? demandai-je.
- Comment ça ?
- Tu es revenu... Pourquoi ?

Il récupéra la sacoche d'ordinateur et le sac plastique qu'il avait fait tomber quelques instants plus tôt.

- De quoi tu parles ?

La confusion qu'il affichait était communicative. Faisait-il exprès de ne pas comprendre ? Il me contourna, déposa sa sacoche sur le fauteuil et le sac plastique sur le comptoir. Il en retira un plateau de sushis, un sirop mentholé et un médicament sous forme de suspension buvable pour traiter les reflux.

- Tu as du sucre ?

Troublée, j'acquiesçai silencieusement. Je lui tendis une boite en métal. Il prit un morceau et versa dessus quelques gouttes de sirop.

- Tiens, prends ça.

J'étais incapable de bouger. Trop étonnée par cette gentille attention que je n'avais clairement pas anticipée.
Il rapprocha le remède de mon visage. Je finis par obtempérer.

- Mets ça dans le frigo et mange le quand tu seras moins barbouillée. Et avale ce médicament avant.

Il était très directif. Dans un autre contexte j'aurai trouvé la chose dérangeante. Mais là j'étais surprise et secrètement émue. J'intériorisais beaucoup mes états d'âmes. Je cachais régulièrement mes drames personnels. Mais ma carapace avait des fissures. Des fissures dont Guesdes avait été, malgré moi, témoin. Cet homme dont j'avais récemment fait la connaissance savait des choses que mes meilleures amies ignoraient. Comment était-ce possible ?

- Pour qui tu me prends ?

Le ton dur me déstabilisa.

- Quoi ?
- Tu pensais quoi ? Que t'entendre vomir m'avait dégoûté et que j'étais parti en courant ?

C'était exactement ce que je m'étais imaginé.

- Oui.
- Pour qui tu me prends ?

Il était sincèrement vexé.

- J'en sais rien. Pour quelqu'un qui quitte un appartement sans prévenir au pire moment qui soit.
- Tu voulais peut-être que je débarque dans la salle de bain pour t'avertir ?

Il avait le don de m'agacer. Les bons sentiments qu'il m'inspira quelques minutes plus tôt s'évaporèrent.

- Je dois réviser. Merci pour tout.

Je lui tournai le dos, attrapai le plaid, me couvris les épaules et repris ma position initiale. L'ordinateur sur la table basse, les notes sur les genoux, un stylo à la main je feignais la concentration.
Le regard pesant et furieux de Guesdes troublait mon attention. Les yeux rivés sur mon écran, j'usai de ma vision périphérique pour suivre ses mouvements. Je finis par quitter la page internet que j'avais déroulée à plusieurs reprises sans être en mesure d'enregistrer la moindre information pour observer plus franchement mon mentor. Assis sur le fauteuil, il avait retiré sa veste, posé son téléphone portable sur l'accoudoir et ouvert son PC.

- Tu pars pas ?
- Non. Il nous reste encore ...

Il jeta un œil à l'horloge numérique qui lui faisait face.

- Une heure et demi.

Il formula ses mots tout en pianotant sur le clavier. Je n'étais plus, pour lui, qu'un bruit de fond. Une légère nuisance sonore.

Déboires chroniquesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant