Partie 101 : orgueil blessé

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Un rêve confus, étrange, perturbant dont je cherchais activement à m'extraire. Accueillie par l'obscurité, je reconnaissais les formes familières de ma couverture, de mon armoire, des vêtements empilés sur ma chaise. Le poids qui pesait sur mon ventre était en revanche inhabituel. Inhabituel aussi ce corps près de moi, cet air chaud chatouillant ma joue. Des bribes de souvenirs suffirent néanmoins à me rassurer. Une voix, une odeur, des mains, un toucher. Les lignes d'un visage entrevues dans la pénombre validèrent ma déduction. Un bras posé sur mon abdomen, une jambe droite couvrant mes membres inférieures... Noah. Le brouillard mental dont je souffrais se dissipait peu à peu. L'état pathétique dans lequel il m'avait trouvé la veille, les questions stupides que j'avais posées, la paralysie qui m'avait saisie ... À mesure que les images défilaient, la honte de m'être ainsi exposée croissait. Une honte mêlée d'une envie. Celle de me blottir davantage contre lui. Il était resté. Il ne m'avait pas seulement ramené chez moi. Il était resté. Il avait fait même plus que ça. Il s'était endormi, dans mon lit, à mes côtés. Des parties de nous entremêlées. Cette intimité était ... troublante. Je n'étais pas certaine, vu mon état de fragilité, de pouvoir résister au désir qu'il m'inspirait. Il fallait que je sorte de là. Alors que je tentais discrètement d'échapper à son étreinte, il grogna.

- Tu vas où ? , s'enquit-il la voix chargée de sommeil.
- Dans le salon.

Un œil clos l'autre pointé sur moi il poursuivit :

- Pourquoi ?
- Pour dormir.
- Un problème avec ton lit ?

Silence. Comment lui expliquer ?

- Non, répondis-je faute de mieux.

Il m'attira un peu plus vers lui aggravant ainsi mon embarra.

- Guesdes...
- Jena dors répliqua-t-il avec autorité.

Après quelques secondes de silence, il déposa un baiser sur le sommet de mon crâne et murmura :

- Dors. Tu ne crains rien.
- Je sais.

La douceur de ses gestes, de son intonation me bouleversaient.

- Tu ne veux pas dormir avec moi ?

Une question qui dissimulait une peine. La sienne. Une incompréhension aussi.

- Si.
- Et si je te promets qu'il ne va rien se passer ?
- Tu ne peux pas.
- Je peux, objecta-t-il.
- Non tu ne peux pas promettre ça.
- Pourquoi ?
- Parce que ça ne dépend pas que de toi.
- Comment ça ?
- Ce qu'il peut ou non se passer ne dépend pas que de toi.
- Qui d'autre ?

J'étais infiniment reconnaissante à la nuit. Elle me permettait de confesser des choses que je n'aurai autrement jamais dites, d'éviter les yeux de cet homme, à présent grands ouverts, qui cherchaient à deviner mes pensées.

- De moi.

Les doigts de ma main gauche remontèrent lentement l'avant-bras de Noah. Il renforça mécaniquement sa prise autour de ma taille. L'index, le majeur, le pouce et l'annuaire avaient atteint son biceps. Immobile, seule la profondeur de sa respiration m'informa de son état. L'épaule, le cou... Je rapprochai mon visage du sien. Il était resté. Il était là. Il était mien ? Nos nez puis nos lèvres se frôlèrent. Il agrippa mon poignet et recula d'un demi-centimètre.

- Pas maintenant.

Surprise, je ne compris pas tout de suite sa réticence.

- Quoi ?
- Pas maintenant, répéta-t-il, pas comme ça.

Un poids s'abattit sur ma poitrine. Quelle humiliation ! Méritée, certes mais pas moins douloureuse.

- Oh.

Je n'avais pas mieux. Pas mieux qu'un "Oh". Je ne parvenais pas à trouver les bons mots. Ceux qui me permettraient de sortir de cette situation avec encore un peu de dignité.

- Je... Je ... Ok.

Oula... Heure du décès. 4h09. Cause de la mort : fierté piétinée. C'était à n'y rien comprendre. Il avait cherché à m'embrasser plus d'une fois. Il s'était glissé dans mon lit et avait insisté pour que je reste. S'amusait-il à mes dépens ? Cette possibilité m'agaça.

- Je vais dormir dans le salon. Bonne nuit.
- Non.
- Non ?
- Ne pars pas.
- Ok tu peux dormir dans le salon si tu veux. J'ai une couverture...
- Non.
- À quoi tu joues ?
- À rien. On va dormir tous les deux ici.
- C'est absurde.
- Pas du tout. Dors on reparlera de tout ça demain.
- Et si je ne veux pas ?
- Fais-le pour moi.

Pour lui. J'étais vexée de m'être ainsi faite éconduire. Il s'était cependant montré responsable. Impossible de le nier. J'aurais sans aucun doute, à la lumière du jour, regretté mon geste. Il avait à plusieurs reprises, depuis notre rencontre, été ma bouée de sauvetage.

- D'accord.

Pour lui, j'acceptais d'ignorer mon orgueil blessé, de supporter une promiscuité qui ne conduirait à rien d'autre qu'au sommeil.   Il se colla à nouveau à moi. Comme si de rien n'était. Comme s'il ne venait pas de me rejeter. La position qu'il avait adoptée me paraissait naturelle voire réconfortante. Je mis très vite de côté ma contrariété pour rejoindre Morphée.

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