Partie 42 : illusion

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Je quittai le domicile familial après avoir ramené mon père à bon port. À notre retour, ma mère, qui faisait le pied de grue depuis un moment, s'empressa d'exprimer le fond de sa pensée.

- Vieil hibou irresponsable !

Les yeux arrondis de surprise, il la regarda sans mot dire.

- Tu cherches à me tuer c'est ça ?
- Ça y est, ta mère a perdu la tête.
- Si c'est ce que tu cherches continue comme ça tu vas y arriver.

Il pressa mon poignet, me jeta un regard complice avant de lui lancer :

- Ça fait des années que j'essaye pourtant.

La moue de ma mère et l'amusement de mon père provoquèrent mon premier rire de la semaine. Rassurée par leurs chamailleries, je rentrais chez moi en promettant de prendre régulièrement de leurs nouvelles.
Le week-end, houleux, ne m'avait pas apporté l'apaisement espéré.
Je n'y étais pas arrivée. Je n'avais pas pu pénétrer dans la chambre jouxtant la mienne. Je n'avais pas pu revoir cet espace que je connaissais pourtant par coeur et que je devinais inchangé. Un lieu chargé d'histoires. Une illusion.
Je craignais cette illusion. Je craignais d'être bercée par elle. Einstein disait que la distinction du passé, présent et futur  n'était rien d'autre qu'un mirage. Une conception erronée du temps fondée sur des périodes qui se succèdent. Ces paroles prenaient tout leur sens dans cette chambre où passé et présent se mêlaient. Je n'avais, en somme, pas pu affronter mes démons. Pas aujourd'hui. Pas encore. La prochaine crise serait peut-être la bonne.
Toujours sous tension, j'optai pour les escaliers. Je ne pratiquai aucun sport de façon régulière mais ne rechignai pas devant l'effort. Essoufflée, je m'accordai un instant avant de farfouiller dans le sac pour en sortir ma clé.
Des voix me parvenaient depuis l'intérieur. Hannah et Isak ? Un dimanche soir ? Étonnant. Ils avaient peut-être prévu de bachoter.

- Jena ! m'apostropha ma colocataire.

Les boucles châtain qui encadraient son visage en diamant s'animèrent lorsque sa tête fit un brusque mouvement de surprise. Ses larges pommettes tressaillirent, ses yeux marron cherchèrent les miens. Qu'essayait-elle de me dire ?

- Tu es rentrée. Tes parents vont bien ?
- Ça va...

Je remontai la bretelle de mon sac qui menaçait de m'échapper et délaissai l'entrée pour le séjour. L'attitude étrange de Hannah s'expliqua enfin.
Un mètre quatre-vingt-cinq de muscles et de chairs. Épaules larges. Barbe naissante. Un jean brut, un col roulé gris et des bottines noires. Une veste négligemment posée sur mon canapé. Des cheveux blonds cendrés qui chatouillaient ses oreilles. Des doigts longs et fins entremêlés et suspendus dans le vide. Les coudes appuyés sur des cuisses athlétiques. Le front plissé. La bouche pincée. Il posa sur moi ses iris aciers que je commençais à bien connaître. Sombres, scrutateurs... soucieux ?

- Monsieur Guesdes.
- Jena... Bonsoir.

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