Partie 54 : top départ !

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Trois semaines s'étaient écoulées depuis mon fameux dérapage. Guesdes et moi avions ritualisé nos rencontres. Nous nous retrouvions généralement les mercredis et samedis. Nous avions tacitement décidé de normaliser notre relation. Plus de conversation ambiguë, d'emportement, de question sur nos passés respectifs. Nos échanges étaient beaucoup plus sereins. Il continuait à m'inciter à l'appeler par son prénom. Je continuais à, délibérément, ignorer sa requête.
Les cours, les amies, Noah, la famille... J'étais happée par une routine qui me maintenait saine. Un emploi du temps bien chargé ne laissant plus mon esprit errer dans les sombres recoins de mon âme.

- Donc c'est fini ?

Les jambes suspendues dans le vide, le dos soutenu par l'accoudoir, la longue tresse brune posée sagement sur son sein droit, elle attendait une confirmation de ma part.

- Ça n'a, en même temps, jamais vraiment commencé...

Assise sur le sol en demi-lotus la tête blonde contre le fauteuil sur lequel était affalée Sanaa, les yeux bleu de Aurélie cherchèrent à atteindre vainement son interlocutrice puis se reportèrent sur la seule personne qui entrait directement dans son champ de vision. Moi.

- Franchement j'ai pas le temps...
- Arrête, m'enjoignit Sanaa.
- Quoi ?
- C'est une excuse ça.
- Même pas ! , me défendis-je.
- Elle a raison, renchérit Aurélie. S'il te plaisait vraiment tu aurais trouvé le temps de le voir.
- Comme tu trouves le temps de voir Noah...
- C'est pas pareil.
- Ah bon ? s'étonna Aurélie.
- Oui. Je suis obligée de voir Noah.
- T'es obligée de le voir AUTANT ?
- Non mais elle vit dans le déni. Laisse-là.

Aurélie mordilla une mèche puis soupira avant d'ajouter :

- Je l'aimais bien Adam, moi.

Sanaa se pencha vers elle et lui administra une petite tape sur la tête.

- Aïe.

Elle se couvrit le crâne, s'écarta de son bourreau et s'offusqua de cet assaut soudain et injustifié.

- Arrête de manger tes cheveux !
- C'est pas de ma faute. Je suis stressée.
- Tu manges tes cheveux quand tu stresses ? demandai-je.

Elle hocha vigoureusement la tête.

- Et qu'est-ce qui te stresse ?
- Plein de trucs ...
- Comme ?
- Comme les cours. Je vais probablement devoir repasser des matières l'année prochaine...
- Sérieux ?

Aurélie décroisa ses jambes et confirma la nouvelle.

- Merde , jura Sanaa.

L'intéressée haussa les épaules en signe de résignation.

- C'est pas bien grave. C'est juste chiant. On va pas obtenir nos diplômes en même temps.
- Qui sait, j'aurais peut être des matières à repasser moi aussi.

J'essayais de me montrer rassurante mais la simple idée d'échouer si proche du but me glaçait d'effroi.
Je n'osais pas imaginer la déception que ressentiraient mes parents si une telle chose venait à se produire.

- Jena...
- On sait jamais.
- Tu travailles tout le temps. Tu penses et vis école, s'agaça Aurélie.
- Oui mais c'est pas parce qu'on fournit des efforts qu'ils sont toujours payants.

Et c'était bien là ma crainte. Si l'investissement en temps, en énergie, en argent ne suffisait pas ? Si je n'étais pas assez intelligente, assez doué ? Et si je n'étais pas à la hauteur du défi ? Quelle autre option avais-je ? Aucune. Ma réussite n'était pas négociable. C'était une question de survie, d'honneur et de dignité. Je portais le poids d'une responsabilité qui me dépassait. Le bonheur de mes parents en dépendait. Je voulais les rendre fiers.
Je voulais être l'exception d'une règle cruelle. Celle qui condamne les miens à la médiocrité.

- T'as dit "plein de trucs", nota Sanaa.
- Hein ? Euh... ouais.
- Quoi d'autre ?
- Ok ... J'ai une cousine qui se marie dans deux semaines.
- Oh tu veux lui voler son mari ?!
- Quoi ? Mais non ça va pas la tête !
- Tu ne veux pas assister à son mariage, la taquinai-je à mon tour.
- C'est honteux. C'est ta cousine quand même..., réprouva Sanaa.
- Mais non ! Est-ce que je peux finir mon histoire ou vous préférez m'inventer une vie ?

Nous échangeâmes un regard complice et répondirent en choeur :

- T'inventer une vie !

L'hilarité passée, elle reprit :

- Ma cousine se marie...

Elle leva ses mains pour freiner toutes velléités d'interruption.

- Et Alexandre veut m'accompagner.
- Vous vous parlez encore ? , s'enquit Sanaa.
- Oui.
- Il connait ta cousine ?
- Oui, elle l'a invité au mariage.

Je fis les yeux ronds.

- Je comprends pas. S'il est invité, pourquoi est-ce qu'il veut t'accompagner ?
- Noah a du pain sur la planche avec celle-là ..., commenta Sanaa en me pointant du doigt.
- Il veut qu'on y aille ensemble.
- Ok et faire le trajet avec lui te stresse ?

Sanaa quitta le fauteuil pour s'installer près de moi sur le canapé. Elle encercla mon visage.
La légère pression qu'exerçaient ses doigts sur mes tempes était assez agréable me pris-je à penser.

- Tu le fais exprès ?

La mâchoire contrainte dans ses mouvements, je parvins malgré tout à lui répondre.

- Non. Pourquoi ?

Ses yeux marron me sondèrent quelques instants puis elle relâcha sa prise.

- Irrécupérable.

Les lèvres étirées en un sourire amusé, Aurélie m'expliqua l'évidence qui m'avait échappée.

- Il veut qu'on y aille en tant que couple.
- Oh... Il veut officialiser les choses ?
- Oui.
- Mais vous êtes ensemble ?
- C'est bien là le problème. Je sais pas.
- Et tu veux t'engager sérieusement ?
- Je sais pas.
- Ok je comprends mieux.
- Il était temps ! s'exclama Sanaa.

J'adressai une moue moqueuse à mon amie.

- Le chrono est lancé alors ! , m'exclamai-je.
- Le chrono ?
- Tu as deux semaines pour y voir plus clair.
- Pauvre Alex, lança Sanaa en affichant un visage faussement contrit.
- Eh ! , protesta Aurélie.
- Il doit pas être normal, fis-je remarquer.
- C'est sûr. Pour courir après celle-là depuis des années faut avoir un problème psychologique assez profond.
- Et elle fait la difficile en plus !

L'expression boudeuse qu'arbora le sujet de nos railleries en accentua l'effet comique.

- Rappelez-moi de ne plus rien vous dire.

Déboires chroniquesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant