Leurs conversations n'étaient plus qu'un bruit de fond auquel je ne participais que sur directe sollicitation. Guesdes me jetait des regards à la dérobé. Nous n'avions échangé aucun mot sur le retour. Que dire de plus ? Cette soirée s'était transformée en supplice qu'il me fallait silencieusement endurer. Essayer d'ignorer les révélations qu'il m'avait faites, ignorer la pression qui opprimait mon cœur à chaque fois que les mains de Clémence s'attardaient sur lui. Amis disait-il ? Peu probable... Agathe avait cependant cessé ses attaques. Une percée lumineuse dans un ciel orageux que j'accueillais avec joie. Le dessert passé, j'estimais avoir suffisamment respecté la bienséance pour ne pas heurter leur susceptibilité en prenant congé.
- Je te raccompagne, annonça Noah.
J'avais anticipé la chose. Nous retrouver seuls, risquer de succomber à son charme, faire fi de toutes raisons et me lancer dans quelque chose qui ne déboucherait sur rien d'autre qu'une nouvelle entaille. Une entaille profonde que je ne parviendrais pas à refermer. Hors de question.
- Pas besoin Florian m'attend en bas.
J'avais lancé un signal de détresse à mon chevalier servant. Il avait aussitôt accepté de voler à mon secours. La reconnaissance que j'éprouvais à son égard était infinie.
- Florian ? , questionna Agathe en voyant les traits de son frère se durcir.
- Mon copain.Traiter le mal par le mal, le mensonge par le mensonge. Quelle autre solution avais-je pour me sortir de là ? Le risque de laisser ses désirs prendre le pas sur sa survie personnelle était trop important pour être ignoré. Nous étions, l'un pour l'autre, toxique. Un poison qui altère vos sens, votre jugement, vous rend euphorique, vous stimule, s'infiltre dans vos veines et crée une addiction. Vous avez faim de ces sensations. Vous en voulez toujours plus. La conscience des dommages qu'il cause ne fait qu'accroître votre dépendance. Le danger et l'interdit que vous exalter.
- Copain ? , souligna Guesdes
Le sourcil relevé, la commissure droite tombante, les mains fermement jointes et positionnées sous le menton, il m'adressa un regard noir. La tension qu'il dégageait créa un malaise. Malaise aggravé par Clémence.
- Vous êtes en couple depuis longtemps ? , demanda-t-elle.
Les pupilles perçantes de Noah guettaient ma réponse.
- Non c'est assez récent.
L'amusement qui se lisait sur le visage d'Agathe détonnait. Elle ne semblait pas le moins du monde affectée par l'inconfort général.
- Dis-lui de monter ! , proposa-t-elle.
- Je sais pas si... Si c'est une bonne idée.Le silence pesant de Noah n'arrangea rien.
- On est un peu pressé, poursuivis-je.
- 5 minutes insista Agathe.Aucune réaction. De la colère à l'indifférence. Comme toujours, poussé dans ses retranchements, il adoptait une attitude faussement neutre.
- Ok.
J'étais prise à mon propre piège. En cherchant à m'extraire d'une situation laborieuse je m'étais enfermée dans une histoire qu'il me fallait à présent assumer. Florian jouerait-il le jeu ?
SMS
[Tu peux monter ? 4e étage, première porte à droite. P.S : je leur ai dit que tu étais mon copain... Désolée.]Le temps me paraissait incroyablement long. Clémence et Agathe meublaient la conversation, Noah feignait d'écouter tandis que je regardais nerveusement mon téléphone attendant, en vain, une réponse de Florian. Je m'apprêtais à fabriquer de toutes pièces une excuse pour expliquer son absence et tirer finement ma révérence lorsque la sonnerie me fit tressauter. Je tachais, avec un succès mitigé, de dissimuler ma nervosité. Agathe que les circonstances enthousiasmaient, un peu trop à mon goût, s'empressa d'ouvrir la porte.
- Florian ?
- Lui-même.
- Ravie de faire ta connaissance. Jena ton copain est là !La mâchoire contractée, le front étonnamment lisse, la posture rigide, Guesdes contourna le canapé et vint se planter près de moi. Clemence, interloquée par son attitude, nous observa avec une attention renouvelée. Cheveux châtain en bataille, sourire ravageur, pull en laine marron, blouson noir, jean brut, baskets blanches, Florian salua brièvement tout le monde avant de fixer ses iris sur Noah puis sur moi. La main tendue qu'il m'adressa accentua la raideur de mon mentor. Je n'étais pas loin de l'arrêt cardiaque. Que pouvais-je faire si ce n'est la saisir ? D'une traction, j'avais quitté Guesdes. D'un baiser, soudainement déposé par Florian sur mes lèvres, j'avais provoqué le courroux d'un homme que la raison m'appelait à fuir. La colère, pire, la déception qui traversa ses yeux me perfora la poitrine.
- On y va ? , demanda Florian ravi de l'effet provoqué par son entrée fracassante.
- Une seconde.Je remerciais mes hôtes de leur accueil.
- Reviens quand tu veux ! , s'exclama Agathe.
Elle jeta un rapide coup d'œil à son frère avant d'ajouter :
- Et amène Florian avec toi la prochaine fois.
- Vous faites un très joli couple, commenta Clémence.Elles enfonçaient le couteau dans la plaie. Était-ce délibéré ?
- Au revoir Noah.
Pourquoi, alors que je nous avais sciemment précipité vers la fin, cet instant m'était-iI aussi pénible ? J'étais, je crois, déjà bien accro.
- Au revoir Jena.
La solennité de son ton me mina aussitôt le moral. Plus de retour en arrière possible. Je mémorisais une dernière fois les traits de cet homme qui avait gagné en très peu de temps ma confiance. Le sevrage risquait d'être rude me pris-je à penser, en quittant son appartement, son immeuble. En le quittant lui.
VOUS LISEZ
Déboires chroniques
Chick-LitLa vie est loin d'être un long fleuve tranquille. Les espoirs, les idéaux, l'utopie que notre esprit engendre sont mis à mal par les épreuves jalonnant notre chemin. La solidité des liens amicaux et amoureux est testée durant ces épreuves. Jena, ét...