Partie 39 : Morphée

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Gyrophare. Sirène de police. Crise de larmes. Hurlement de douleur. Mon père au sol. Ma mère se frappant frénétiquement les joues puis les cuisses. Une question qui ne cesse de m'être posée. Pourquoi ? Pourquoi ? POURQUOI ?

Oxygène. J'avais besoin d'oxygène. J'ouvris la bouche et tentai d'en aspirer autant que possible. L'afflux soudain d'air provoqua une quinte de toux. Je saisis mon téléphone. L'écran lumineux m'éblouit. Je plissai les yeux. 3h02 du matin. Je dégageai les mèches de cheveux que ma sueur avait fixées sur mon visage. J'étais en nage. Mon coeur battait la chamade. Un cauchemar. Non. Un souvenir, venu hanter ma nuit. Je craignais qu'il m'assaille à nouveau une fois les paupières closes. J'avais besoin d'une distraction.
Besoin de ne pas retrouver Morphée avec l'image de mes parents à l'agonie.
Dix-sept sms. Six appels en absence. Deux messages vocaux. Une centaine de notifications provenant de ma messagerie instantanée. Principalement des remontrances de Aurélie et Sanaa. Elles n'avaient pas du tout apprécié ma soudaine disparition. Elles menaçaient de lancer une alerte enlèvement si je ne me manifestais pas d'ici la fin de la semaine.

[Jena : Tout va bien, je suis chez mes parents ce week-end.]

Je ne souhaitais clairement pas figurer au journal de vingt heures parce qu'elles auraient eu l'audace ou la bêtise de mettre leur plan à exécution.

[Aurélie : Elle est en vie !!]

[Jena : Qu'est-ce que tu fais encore debout toi ?]

[Aurélie : Et toi alors ?]

[Jena : Je me suis réveillée pour aller aux toilettes]

C'était un mensonge. Un de ceux que je n'avais aucune gêne à écrire. Certaines vérités n'étaient pas bonnes à dire. Elles n'apportaient ni absolution ni soulagement. Prononcées à voix haute, décortiquées, elles produisaient même l'effet inverse.

[Aurélie : Je viens de m'enfiler huit épisodes de 40 minutes.]

[Jena : Une nouvelle série ?]

[Aurélie : Oui !! Elle est trop bien !]

[Jena : Va dormir.]

[Aurélie : Non mais vraiment.]

[Jena : Bonne nuit.]

Je quittai la conversation de groupe et consultai ma messagerie vocale.
«Allo, c'est Noah... Guesdes. Noah Guesdes.»
Raclement de gorge. Silence.
«Rappelez-moi dés que vous avez ce message.»

- Jena ?

La surprise du message vocal et de l'interpellation de ma mère me fit lâcher brusquement mon téléphone. Après un rebond, il s'écrasa au sol. Elle le récupéra, le posa sur la table de chevet et m'adressa un regard sévère.

- J'ai rêvé de vous.
- De nous ?
- De toi et papa.
- On faisait quoi ?
- C'était un mauvais rêve.

Elle s'installa sur le bord du lit.

- Ça t'a réveillé ?

J'acquiesçai. Nous restâmes ainsi silencieuses durant plusieurs minutes.

- Maman...
- Hum ?
- Tu n'es pas fâchée ?

Elle fronça les sourcils.

- Fâchée ? Pourquoi ?
- Parce que je suis une fille indigne.
- Mais qu'est-ce que tu racontes ?
- Je vous ai laissé seuls.

Elle poussa un long et profond soupir. Elle me prit dans ses bras et me murmura :

- Arrête tes bêtises. Qu'est-ce qu'on t'a toujours dit ?
- De bien travailler à l'école.
- Quoi d'autre ?
- De profiter de ma jeunesse.

Émue, je renforçai ma prise alors qu'elle émettait un son guttural d'approbation. J'absorbai tout l'amour de cette mère qui n'avait cessé de placer le bonheur de ses enfants avant le sien.

- Et de te trouver un mari.
- Un mari ? , répétai-je.
- Ah oui, tu as 24 ans. Il faut commencer à chercher ma fille.
- Maman ! , m'exclamai-je, outrée, en me libérant de son étreinte.

Amusée par ma réaction elle me tapota le genou gauche avant de se relever.

- Ton père ne va pas tarder à se lever. Rendors-toi.
- Maman ?
- Oui.
- Je t'aime.

Elle reçu ses mots comme une évidence. Comme si rien ne pouvait altérer notre lien. Ni le temps, ni la distance, ni l'adversité.

- Moi aussi ma fille. Moi aussi.

Déboires chroniquesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant