Partie 141 : amour & vérité

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L'estomac noué d'appréhension je faisais, pour la deuxième fois consécutive, le tour du quartier. Les yeux brûlants, indisposée par un ventre ballonné et des bouffées de chaleur que le soleil cuisant n'aidait pas à tempérer, je maudissais intérieurement ma condition de femme.
Les symptômes prémenstruels... Comme si la menstruation n'était pas suffisante en soi. Comme si les crampes qui secouaient mon utérus ou l'immense fatigue qui ravageait mon corps n'étaient pas assez. Il fallait, une ou deux semaines avant, que mes règles signalent, de façon très déplaisante, leur venue.
Nous étions, en tant que femme, une partie indispensable du puzzle. Nos corps garantissaient la pérennité de notre espèce. La grossesse, la découverte de soi, le rapport à la vie ... cette capacité fabuleuse dont nous étions dotées avait un coût. Elle nous éprouvait de bien des manières. Des maux physiques et psychiques qui n'étaient connus que de nous seules.
Notre force résidait dans notre aptitude à endurer en silence. Notre faiblesse aussi. L'incroyable résilience que démontraient les femmes était trop souvent banalisée.
L'angoisse comprimait ma poitrine. Je rassemblais mon courage, inspirai profondément et poussai, enfin, la porte du café. Les clients avaient pris d'assaut la terrasse. La météo était, depuis quelques semaines, inconstante. Les espaces verts, les grandes places, les rues et les quais étaient, dès qu'un rayon de soleil perçait le ciel nuageux, bondés. J'étais, pour ma part, bien contente de profiter de la fraîcheur que l'intérieur, quasi désert, offrait. Pour une fois, en avance, pour ne pas dire très en avance, je balayais l'espace du regard.
L'endroit était plutôt chaleureux. Des fauteuils mauves encadraient une table basse sur laquelle reposait un livre aux pages écornées. Non loin de là, contre le mur, une petite bibliothèque offrait un choix de lecture suffisamment hétéroclite pour que chacun s'y retrouve. Les serveurs, le plateau à hauteur de tête, slalomaient élégamment entre les sièges en cuir noir encastrés dans des tables rondes blanches. Leur va-et-vient permanent me faisait étrangement penser au ballet de la semaine passée. Noah... je ne l'avais pas revu depuis. Accaparé par le travail, il avait promis de se rattraper dès que possible. J'étouffais les doutes qui ébranlaient mon estime.
Et s'il s'était déjà lassé de moi ? Lassé de mes hésitations, de mes contradictions... Il s'était, peut-être, rendu compte qu'il n'y avait rien à sauver ? Que j'étais une cause perdue ou à l'inverse que je n'étais pas assez perdue pour être digne d'intérêt. Et si Clémence lui avait enfin ouvert les yeux. Soyons honnête, je ne jouais clairement pas dans la même catégorie qu'elle. Elle le savait. Je le savais. Ça n'était qu'une question de temps avant que Guesdes ne s'en rende compte.
Stop ! Je fis aussitôt taire cette voix insidieuse qui détruisait, brique par brique, la confiance que j'avais placée en lui mais surtout en moi.
J'optais pour le coin lecture. Alors que je m'y installai un visage vaguement familier fit son apparition. Brune, chétive, perchée sur des escarpins beiges, des yeux gris inquisiteurs... Agathe.
Les mains moites, j'ignorais les battements affolés de mon cœur et lui adressais un timide sourire. Agathe, tout comme son frère, faisait fort impression. Ils appartenaient à cette rare espèce qui captait, par leur simple présence, l'attention. Une chemise blanche légèrement entrouverte, un jean, blanc également, et un sac en cuir à la main droite, elle s'engagea, d'un pas assuré, dans ma direction.
Je me sentais fragile. Je couvrais un trop plein d'émotions comme on couvrait une casserole pour éviter qu'elle déborde. Un geste, in fine, futile mais qu'on pensait sur le coup nécessaire. Je faisais tâche à côté d'elle. J'avais bataillé un moment avec mes cheveux puis lassée je les avais enroulé dans un chignon de fortune. Après plusieurs essayages, je m'étais faite une raison. Aujourd'hui, rien ne m'allait. Et puisque je n'avais pas réussi à résoudre mon problème capillaire autant enfoncer le clou et dissimuler mes imperfections sous une robe grossièrement ample. Un choix qu'à l'instant je regrettais amèrement. Je voyais mon estime personnelle s'effriter. Je me voyais essayer de recoller les morceaux en chassant les pensées acerbes qui me torturaient l'esprit depuis ce matin. Le résultat était pour l'instant très mitigé.

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