Partie 47 : armure

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- Merci, reprit-il.

Les muscles de son cou,  jusque-là contractés, se relâchèrent.

- Merci à toi.
- Pour ?

Il appuya sa tête contre la paume de sa main.

- Pour hier... D'être resté.

Il balaya la reconnaissance que je venais de lui témoigner d'un subtil haussement d'épaules.

- Je n'allais pas t'abandonner à ton propre sort.

Il l'avait en quelque sorte déjà fait. Samedi dernier alors que, mal en point, je me rendais chez mes parents. La brutale interpellation, l'affrontement silencieux et la fuite. Pas sûr, de toute façon, que son intervention ait été bien accueillie. Je n'étais pas dans les meilleures dispositions pour saisir une main tendue.

- Désolé.

Mon visage, très expressif, permettait à quiconque prêtait suffisamment attention de rapidement déceler mes humeurs. Quelle infime réaction m'avait, cette fois, trahi ?

- Je n'aurai pas dû faire ce que j'ai fait, poursuivit-il.

Le contraste entre ses pupilles noires et ses iris gris était saisissant.

- Tu veux dire hurler, me fusiller du regard et partir ?
- Plus ou moins.

Difficile de ne pas trouver, a posteriori, la situation amusante tant elle était hors norme.

- Si tu admets tes torts je veux bien admettre les miens.
- Quel honneur !
- C'est peu dire. Je déteste m'excuser.
- Bizarre des excuses sans excuse...
- Ma spécialité.

Le rire qu'il laissa échapper m'arracha un sourire.

- On est peut-être parti du mauvais pied.
- Tu crois ?

L'ironie de son ton, à peine perceptible, ne m'avait pas échappé.

- À quel moment les choses ont mal tourné ?

Je fis mine de réfléchir à la question.

- Sûrement quand je me suis lancée dans un monologue sur ton physique.
- Que tu trouvais... Quel mot tu as utilisé déjà ?

Il marqua une pause pour donner plus d'effet à sa prétendue perte de mémoire avant de poursuivre :

- Ah oui ! Fascinant...
- Ne remue pas le couteau dans la plaie.

Les commissures de ses lèvres s'étirèrent un peu plus. Ses joues, relevées, mettaient en lumière ses adorables fossettes.

- Non, c'était plutôt flatteur à vrai dire.

Gêne. Il était temps de changer de sujet.

- Mes retards alors ?
- Plus probable !
- Le problème finalement, c'est ton intolérance.
- Aux retards ?
- Oui !

Rapide mouvement de sourcils. Si rapide qu'il m'aurait très certainement échappé si je n'avais pas eu les yeux rivés sur lui. Puis à nouveau ce rire. Un rire aux sonorités plaisantes que j'avais été en mesure, à deux reprises, de lui extirper. Il était, lorsqu'il riait, habité par une certaine désinvolture. Fait suffisamment rare pour être noté et apprécié.

- Interprétation très subjective des choses.
- Le monde selon Jena.

Le regard dans le vague, un demi-sourire aux lèvres, il semblait pensif.

- Un monde où Jena doit se rendre à son cours de géopolitique. Tu ne travailles pas ?
- Un monde où Jena parle d'elle-même à la troisième personne. J'ai pris ma matinée.

Il se leva et étira ses bras.

- Je peux emprunter ta salle de bain ?
- Bien sûr. Au fond du couloir, à gauche.

Guesdes s'éclipsa. J'ignorais l'angoisse qui, malgré la distraction bienvenue offerte par Noah, m'oppressait encore la poitrine. Je reportai toute mon attention sur les impératifs du jour.
Les espoirs que mes parents avaient placés en moi m'astreignaient à ne pas perdre l'école de vue. Maintenant plus que jamais. Un échec à quelques mois de la remise des diplômes était inconcevable. Je me plongeais dans les lectures obligatoires du jour. Un recueil de textes, acquis en début d'année, permettait aux étudiants de préparer les cours dispensés en amphithéâtre ou en petits groupes. Crayon à la main, j'annotais les passages importants en mordillant une mèche de cheveux et faisant tournoyer entre mes doigts mon surligneur.
Guesdes avait consciencieusement effacé toute trace de son séjour. Seul le plaid, soigneusement plié, reposait près de moi sur le canapé.
Un raclement de gorge perturba ma concentration. Rafraîchi et habillé mon mentor souhaitait visiblement me demander quelque chose. Il s'était composé une armure. Une de celles qui lisse vos caractéristiques, dissimule votre identité. Cheveux plaqués, veste de costume, posture droite, épaules en retrait, port de tête princier. Il était beau. Ça ne faisait aucun doute. Guindé mais beau.

- Bloque ton mercredi soir.
- Pourquoi ?
- Surprise.
- J'aime pas les surprises.
- Tu n'aimes pas les surprises ?! , s'étonna-t-il.
- Non. Je suis du genre à ne pas démarrer un film sans connaître la fin.
- Autant ne pas regarder.
- C'est ce que je fais... quand ça finit mal.
- Tu passes à côté de grands classiques !
- Nuance, je connais la fin des grands classiques ! J'ai toujours préféré les feel good movie.
- Ça peut se comprendre...

Discrète référence à l'épisode larmoyant d'hier.

- J'aime ce qui est prévisible. Pas toi ?

Momentanément distrait par son téléphone, il ignora le message qu'il venait de recevoir et reporta son attention sur moi.

- Non.

Une réponse avec de la certitude à en revendre et ... autre chose.

Déboires chroniquesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant