Partie 50 : le rossignol brun

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Je défaisais pour la énième fois la coiffure que je m'efforçais de réaliser depuis vingt minutes. Je ne pouvais pas être en retard. Pas encore.
Quiconque oserait jeter un œil à ma chambre repartirait sans demander son reste. Un véritable champ de bataille. Plusieurs sacs à même le sol, des manteaux qui s'entassaient sur ma chaise de bureau. Mon lit avait tout bonnement disparu. Recouvert par des robes, pantalons, pulls qui se mélangeaient pour ne plus former qu'un amoncèlement de tissus. J'étais loin d'être prête. Il ne me restait pourtant plus que quinze minutes pour l'être. Hannah toqua timidement à ma porte avant d'entrer. Elle fit les yeux ronds lorsqu'elle découvrit le carnage.

- Besoin d'aide ?

Je poussais un long et profond soupir.

- Je suis à deux doigts de me jeter par la fenêtre.
Compatissante, elle m'adressa un large sourire.
- Tu vas voir Noah ?

Pincement au cœur.

- Oui.

Je me démenais pour lui paraître attrayante. Je préférais jusqu'ici ne pas y penser. Mais je devais dorénavant me confronter à cette réalité que je cherchais si ardemment à nier. Je pouvais la lire sur le visage de ma colocataire. Elle voyait bien qu'il ne me laissait pas indifférente.

- Tu sais, peu importe ce que tu mets ça t'ira très bien.

Un compliment. Je n'étais déjà pas ravie d'être ainsi prise sur le fait.

- Non mais c'est bête. Je vais juste mettre un vieux jean et un pull. Je sais pas pourquoi je me prends autant la tête.
- J'ai ma petite idée...
- Je te propose de la soumettre à Aurelie et Sanaa. Elles sont déjà en train de monter un fan club.

Elle laissa échapper un gloussement.

- Hannah !

La voix d'Isak résonna dans le couloir.

- Ça va vous deux ?
- J'arrive, clama-t-elle avant de se tourner à nouveau vers moi.

J'enviai l'épanouissement et l'amour qu'elle projetait.

- Oui, super !

Elle marqua une pause. Constata à nouveau le désastre puis ajouta avant de s'éclipser :

- Si tu as besoin d'aide fais-moi signe.

Plus que dix minutes. Je n'avais aucune raison de m'apprêter. Je laissais libre cours aux ondulations qui façonnaient naturellement mes longueurs. Je jetai un dernier coup d'œil au miroir sur pied occupant un des angles de la pièce avant de quitter les lieux. La dernière tenue serait, faute de temps, nécessairement la bonne. Il m'avait déjà vu pleine de morves et de désespoir. Qui cherchai-je à tromper ? Sûrement pas lui.
C'est une chose de le penser, s'en est une autre de l'éprouver. Je ne ressentais pas la confiance que j'essayais de m'insuffler. J'étais, pour l'instant, une boule de nerfs alimentée par les critiques que m'adressait ma conscience.

[Ne soit pas en retard.
Noah]

Le fait de ne pas connaitre ma destination n'aidait pas non plus. Il avait tenu à préserver le mystère. Je n'avais pas cherché à en savoir plus. L'information ne m'avait pas alors paru importante. J'aurai peut-être dû insister...

[Peut-on être en retard quand on ne sait pas où l'on va ?
Jena]

[Oui.]

Je levai les yeux au ciel à la lecture de sa réponse monosyllabique. Je portai ensuite mon regard sur les environs puis sur le portable qui titillait le creux de ma main.

[Voiture rouge. En face.]

J'avançais, prudemment, vers une berline de la couleur mentionnée par Guesdes stationnée en double file à quelques mètres de moi. Je fis, conformément à sa gestuel, le tour du véhicule et m'installai côté passager.

- C'est ta voiture ?
- Bonjour Jena.

J'étais, comme à chaque situation stressante, maladroite.

- Bonjour.

Il laissa le silence s'installer un court instant avant de le briser.

- Oui, c'est ma voiture.

Les effluves boisées de son parfum caressèrent mes narines. En avais-je moi-même mis ? Alors que je déroulais, dans mon esprit, l'heure passée afin d'obtenir une réponse à ma question, il m'interpella.

- Tu penses à quoi ?
- Je me demande si c'est bien sage de monter dans la voiture d'un homme que je connais à peine et qui refuse de me dire où il m'emmène...

Je l'observai à la dérobée. De ma place, je n'avais accès qu'à son profil.

- Pas très malin, c'est vrai.
- Tu confirmes avoir de mauvaises intentions ?

Ses fossettes se creusèrent sous l'action de ses lèvres. Ses iris aciers se portèrent brièvement sur moi puis de nouveau sur la route.

- Du mal à faire confiance ?
- Pas plus que toi j'imagine.
- Ah bon ?

Je regardais les passants défiler, les panneaux de signalisation et les feux se succéder.

- Tu fredonnes.

Je délaissai l'agitation extérieure pour Guesdes.

- Désolée. Je ne m'en suis pas rendue compte.

Il ne releva pas mes excuses. Il se contenta d'attendre une information que j'avais des réticences à partager.

- Je ne reconnais pas la mélodie.

Je quittai mon mutisme contrainte par les efforts évidents qu'il déployait pour faire la conversation.

- C'est une chanson assez populaire. Mais...
- Mais ?
- Mais je ne pense pas que ça soit ton genre.
- De musique ?

J'acquiesçai.

- Et si tu me laissais te dire ce qui est mon genre ou pas ?

Je le dévisageai. Il faisait la moue. Mécontent d'être aussi rapidement étiqueté.

- Abdel Halim Hafez, Ahwek.

Il balada son index sur l'écran tactile situé à sa droite. L'habitacle, après quelques manipulations et corrections orthographiques, fut envahi par la douce voix du "rossignol brun". Il laissa la mélodie courir un moment avant de baisser le son.

- Ça parle de quoi ?, demanda-t-il.
- D'amour. D'un va-et-vient entre deux personnes qui s'aiment et se font du mal. De leur incapacité à vivre sans l'autre.

Il stationna le véhicule et coupa le moteur puis tourna son torse vers moi et me transperça du regard. Un regard que je ne pouvais soutenir.

- On est arrivé, finit-il par m'annoncer.

Déboires chroniquesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant