Partie 68 : bachotage et love story

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Deux iris. Cuivrés comme les miens. Un sourire un peu moqueur. Des sourcils noirs hirsutes, des cheveux rasés sur le coté, long sur le dessus. Une mine fière. Un corps long et mince. Il me tendait la main. J'essayais de la saisir. Je redoublais d'efforts. En vain. Son expression changea. Elle se fit plus urgente. Je m'agitai. Encore et encore. Je criai. Je demandai de l'aide. Personne. Nous étions seuls. Impuissante je l'observais convulser de souffrance.

- Issa !

Je repris mon souffle. J'étais dans ma chambre. Encore secouée par mon rêve, je ne pris conscience que tardivement de la présence d'Hannah près de moi. Elle me caressait le dos et me murmurait des paroles que mon esprit embrumé, ne parvenais pas à appréhender.
Je fixais un point. Je tâchais de faire le vide. De me débarrasser des souillures dont ce cauchemar m'avait entaché. Je me sentais sale. Je me sentais lâche. Je me sentais mal. J'aurais aimé être quelqu'un d'autre pour ne plus avoir à subir ces émotions. Mais j'étais moi et tout comme je n'avais rien pu faire pour lui, je ne pourrais rien faire pour que ça s'arrête. Pour ne plus entendre cette voix intérieure me blâmer, me reprocher de ne pas avoir été attentive. De ne pas avoir agit avant que l'innommable ne se produise.
J'aspirais une bouffée d'oxygène. Un peu trop vite. Un peu trop intensément. Saisie d'une quinte de toux, ma colocataire m'apporta un verre d'eau.

- Merci.

Le bonnet de nuit toujours sur la tête, elle m'adressa un regard plein de compassion.

- Il est quelle heure ? , demandai-je entre deux gorgées.

Elle jeta un œil au radio-réveil posé sur ma commode avant de répondre :
- 3h06.
- Je t'ai réveillée ? , m'enquis-je.
- Tu criais...

Contrite, je délogeais mon coude jusque-là enfoncé dans mon oreiller pour me relever complètement.

- Désolée.

Nous étions dans la pénombre.
L'éclairage de la voirie filtrant par la fenêtre me laissait entrevoir quelques uns de ses traits. Elle s'installa sur le bord du lit et expira bruyamment.

- C'est pas grave voyons. Tu rêvais encore de lui ?

Je hochais la tête.

- Tu veux en parler ?
- Non.

Elle se leva prête à quitter ma chambre mais je la retins.

- Tu peux rester avec moi encore quelques minutes ?
- Bien sûr.

Le bruit de ma respiration, le grincement de mon lit puis le silence occupèrent, durant un moment, l'espace.

- Comment va Noah ?

Grognement.

- Il a fait quoi encore ?

Si j'étais incapable de lire son visage, je pouvais aisément percevoir de l'amusement dans sa voix.

- Il m'a donné un exercice stupide à faire.
- Un exercice ?!
- Oui...
- Il te donne des exercices ?!
- Oui...

Quelque chose, de toute évidence, m'échappait.

- Mais de vrais exercices ?
- Oui ! Pourquoi ça t'étonne ?
- Hein ? Non... C'est pas ça. Mais je ne pensais pas que ...

Confuse et incapable d'achever une phrase, elle accompagnait ses propos de gestes désordonnés rendant la scène un brin surréaliste.

- Hannah, tu nous fais une crise d'épilepsie ou quoi ?

Elle étouffa un petit rire avant de retrouver son calme.

- En tout cas il est canon, lança -t- elle l'air de rien.
- Hannah ! , m'exclamais-je.

Elle n'avait, à ma connaissance, jamais commenté le physique de qui que ce soit. Je ne l'avais même jamais vu s'attarder sur quelqu'un d'autre que son petit-ami. Hannah était la maturité incarnée. Plus jeune que moi elle gérait pourtant sa vie d'une main de maître. Elle s'était assez rapidement investie dans une relation sérieuse. Et jonglait entre cours et amour avec brio là où moi je craignais l'un et désertait l'autre. Elle haussa les épaules.

- Ba quoi ? J'ai des yeux...
- C'est ce que je constate. Il est pas mal Isaac aussi.
- Tu trouves ?
- Hum... Je sais pas un mec grand, à la peau d'ébène, toujours souriant, hyper attentionné. Mouais t'as raison ... peut mieux faire.

La tête posée contre le mur, elle soupira.

- Parfois j'ai l'impression de passer à côté de plein de trucs.
- Comment ça ?
- J'ai 19 ans. Je partage mon temps entre la bibliothèque et Isaac. Je vois plus personne.

Entendre Hannah exprimer ses doutes ainsi était une première. J'ai toujours pensé qu'elle était mue par une détermination que rien ne pouvait ébranler, qu'elle était certaine de ses choix et de la direction empruntée.

- Tu as 19 ans. Tu as tout le temps du monde pour profiter ! Tu investis dans ton avenir et c'est ce qu'il faut faire. Et si ça ne te convient pas tu peux toujours trouver un nouvel équilibre. Accorder un temps dans ta vie à autre chose qu'aux études et à Isaac.

Je voyais, malgré l'obscurité, ses lèvres s'étirer.

- C'est marrant comment tu peux être indulgente et de bons conseils envers les autres et dure envers toi-même.

Je haussais à mon tour les épaules. Elle me tapota la jambe droite puis se releva.

- Bon je vais aller dormir. Devine ce qui m'attend demain ?

Je fis mine de réfléchir.

- Bachotage, bachotage et ... love story ?
- Bingo !

Je m'allongeais à nouveau et remontais ma couverture jusqu'au menton.

- Jena ?
- Oui ?
- Ça va aller.

Ça n'était pas une question mais une affirmation. Une de celle dont Hannah a le secret. Une pleine de détermination et de certitude. Je n'eus pas le temps de répondre. Elle s'était éclipsée aussi discrètement qu'elle était apparue.

Déboires chroniquesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant