Partie 118 : victime.s

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SOUVENIRS
L'ambiance était pesante. Je cherchais l'erreur. Je cherchais la cause. L'agitation des enfants à l'entrée, le regroupement des adultes un peu plus loin... Certains en tenue d'intérieur, d'autres arrêtés en plein élan. Interrompus, comme moi, dans leur trajet par l'inexplicable attroupement. Pour une obscure raison, j'étais nauséeuse. Quelque chose clochait. Les jambes molles, j'ignorais le sentiment qui menaçait à tout moment de me clouer sur place. La peur. Peur de découvrir ce que cet étrange scène dissimulait. Un véhicule rouge occupant une portion importante de la route contraignait les automobilistes à le contourner. Pare-chocs blancs, bande jaune rétro-réfléchissante aux flancs, avant et arrière fléchés, gyrophare sur le toit... Une vision qui confortait mon mauvais pressentiment. Sur le côté, inscrit en lettres capitales, "Véhicule de secours et d'assistance aux victimes". Victimes ? Victimes ! Un peu plus loin, un corps dans une civière gardé par des agents de police était lentement acheminé vers le fourgon des sapeurs-pompiers. Il échappait ainsi à la curiosité mal placée voire indécente du voisinage. Éblouie par la lumière bleutée, assourdie par la sirène de la voiture venant compléter ce qui s'apparentait maintenant à un cortège funèbre, j'étais abasourdie. Que s'était-il passé ? D'où provenait cette terrible impression ? L'impression que j'étais concernée, qu'ils étaient là pour moi. Doucement je me remis en marche. Je n'avançais pas assez vite. Je devais en avoir le cœur net. J'espérais sincèrement être dans l'erreur. Je me mis à courir. Incapable d'attendre l'ascenseur, je pris d'assaut la cage d'escalier. Trop lente. Beaucoup trop lente. À bout de souffle, à bout de nerfs, je parvins néanmoins à me hisser jusqu'à notre étage, notre appartement. Je n'aurais pas dû. Je n'aurais pas dû me précipiter vers mon enfer personnel. La voix déformée de ma mère perça le voile du silence. Je n'avais jamais, de ma courte vie, entendu un cri pareil. Et je priais pour ne jamais plus l'entendre. Il personnifiait le tourment. Il incarnait la mort. La sienne. Elle enterrait, ce jour-là, la femme que nous avions connue. Elle ne serait plus jamais cette mère, plus jamais elle-même. Je rejoignis mon père au sol. Incapable, l'un comme l'autre, de nous tenir plus longtemps sur nos deux jambes. Le visage défait, l'horreur avait investi ses globes oculaires et figé son âme. Lui aussi ne serait plus jamais le même. Il passerait le reste de son existence à fuir sa culpabilité. Elle le consumerait malgré tout à petit feu. J'observais, impuissante, le monde que j'avais connu s'effondrer. Je mémorisais chaque détail d'une tragédie qui me marquerait à vie.

PRÉSENT
Respire ! Étouffée par mon subconscient, Sauvée par ma conscience. Je me réveillai pour la énième fois en sueur, en larmes, en panique. J'étais épuisée. Torturée encore et encore par des souvenirs sur lesquels le temps n'avait aucune emprise. Je voulais parfois oublier. Être une autre. Puis l'égoïsme de ce souhait me prenait aux tripes. Lui ne pouvait plus être un autre. Il ne pouvait plus être tout simplement. L'estomac chamboulé, je me précipitai dans la salle de bain pour déverser dans les toilettes le contenu de mon dîner. Vidée, je fixais le carrelage mural surplombant l'évier durant quelques minutes avant de me rincer la bouche et retrouver mon lit. Je bombardais mon esprit de réflexions plus légères. Je laissais mes pensées se décomposer à mesure que le sommeil me gagnait. J'embrassais pleinement le détachement qu'il m'offrait. Je succombais à l'obscurité. Elle était préférable. Le néant me promettait une quiétude que le passé me refusait.

Déboires chroniquesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant