- Jena ... Tu as la bouche ouverte.
Ma mâchoire s'était effectivement relâchée sous l'effet de la nouvelle. J'aspirai bruyamment une bouffée d'oxygène. Surprise par ses mots, j'avais cessé de respirer durant une fraction de seconde. Je ne m'attendais pas à ça. Pas à ce qu'il se confie autant. Pas après avoir refusé, jusqu'à présent, de me livrer la moindre information.
- Je suis désolée...
- Tu n'y es pour rien.
- Oui... mais bon.J'étais incapable d'être un soutien. Incapable de formuler une phrase cohérente, de me montrer compatissante. En avait-il besoin ? Pas sûr...
- Tu ne trouves pas ça bizarre ?
- Quoi donc ?
- Cette manie qu'on a de s'excuser quand on apprend une mauvaise nouvelle.
- C'est souvent parce qu'on ne sait pas quoi dire. Parce que tout sonne faux ou déplacé.
- On ne sait pas quoi dire même quand on sait ce que l'autre a traversé...Ses sous-entendus, à peine voilés, provoquèrent, chez moi, un début d'anxiété.
- Comment sait-on ce que l'autre a traversé ?
La réponse était évidente mais je voulais tout de même l'entendre.
- On sait parce qu'on a vécu la même chose.
Il soutint mon regard. Il voulait en apprendre plus, connaître l'origine de ma folie. Il commençait à comprendre. Il m'incitait à m'ouvrir à lui comme il s'était ouvert à moi. Mais je ne pouvais pas. Je n'étais pas encore prête à le faire. Je n'étais pas encore capable de l'admettre. D'admettre ce qui s'était produit. Je ne pouvais que réagir à des souvenirs et des mots clés. Réagir par la colère, par la détresse, par les larmes et souvent par le déni. C'est tout ce que je pouvais faire. J'étais un trou noir émotionnel dont rien ne s'échappait. C'était au-dessus de mes forces d'être plus que ça.
Silence. Il abandonna le mur sur lequel il s'était adossé pour me rejoindre. Un demi-sourire aux lèvres, il me questionna :- Trop d'information ?
- Non, pas du tout.
- Ok, à quoi tu penses alors ?Une mine sérieuse, des sourcils fournis d'une teinte légèrement plus sombre que celle de ses cheveux et des oreilles un brin décollés... Tout était charmant chez lui. Concentre toi ! Je rappelai mon esprit vagabond à l'ordre.
- Pourquoi ce revirement ?
J'espérais, par cette question, quitter le terrain glissant que nous avions emprunté et satisfaire au passage ma curiosité.
- Quel revirement ?
Il savait pertinemment ce à quoi je faisais référence. Contraint par mon mutisme, il reprit :
- C'est plus une "suite logique" qu'un "revirement".
- Une suite logique ? C'est à dire ?
- Ça fait un moment maintenant qu'on parle de confiance.
- Oui...
- La suite logique serait donc d'appliquer ce qu'on prêche.
- Pratiquer la confiance ?J'avais repris sa formulation mot pour mot. Il s'en était aperçu. Son visage s'éclaira.
- Exactement.
- Le passage de la théorie à la pratique est ... radical.Les fossettes creusées, il afficha une expression avenante.
- Je ne fais pas dans la demi-mesure.
- Je vois ça.
- Donc...
- Donc ?Le front plissé, il attendait. C'était à mon tour de me dévoiler. Par où commencer ?
- Padawan est un ami de la famille. On a grandi dans le même quartier. Enfant, il était adorable. Puis comme beaucoup de jeunes éduqués principalement par la rue il a commencé à avoir de mauvaises fréquentations. Un jour, il est devenu cette mauvaise fréquentation.
- Il n'avait pas l'air très content tout à l'heure.
- Disons qu'il a un tempérament nerveux.Il voulait plus de détails. Le silence qu'il laissa s'installer m'invitait à en révéler davantage.
- Il n'apprécie pas trop d'être ignoré.
- Vous avez déjà été ...Il n'acheva pas sa phrase. Je sentis les commissures de mes lèvres s'étirer.
- Nous avons déjà été ... ?
Je savais très bien où il voulait en venir mais je préférais m'amuser de sa gêne que de répondre à sa question.
- Plus, précisa-t-il.
- Plus que quoi ?Le sourcil droit levé, le regard animé par une lueur inquiétante il réduisit la distance qui nous séparait. Coincée dans l'angle du canapé par Guesdes qui occupait une bonne partie de l'espace à ma gauche la gêne me gagna à mon tour.
- Plus que des amis d'enfance, dit-il d'une voix assurée.
Subtil changement d'ambiance. Était-il en train de flirter ? Je le dévisageais. Après quelques secondes de réflexion, je décidai que non. C'était plutôt une façon pour lui de me tenir tête.
De me montrer qu'il était capable de me déstabiliser autant, si ce n'est plus, que moi. Quel ego !
Je me décollais du dossier pour me rapprocher de lui. Nous étions deux à pouvoir jouer ce jeu. Je ne me laisserai pas démonter. En me relevant mon épaule se retrouva collée à son poignet. Nos visages se faisaient face et n'étaient séparés que pas quelques centimètres. Le genou de mon mentor touchait à présent ma cuisse. J'étais intérieurement complètement paniquée mais usais de toute mon énergie pour prétendre le contraire.- Non on a jamais été "plus".
Le "plus" était à peine audible. Je l'avais soufflé. J'étais sur le point de me maudire pour cet impair lorsque que quelque chose chez lui attira mon attention.
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Déboires chroniques
ЧиклитLa vie est loin d'être un long fleuve tranquille. Les espoirs, les idéaux, l'utopie que notre esprit engendre sont mis à mal par les épreuves jalonnant notre chemin. La solidité des liens amicaux et amoureux est testée durant ces épreuves. Jena, ét...