Bercée par le mécanisme de la pendule et le fond sonore produit par la télévision. Réchauffée par la couverture dans laquelle je m'étais blottie une demi-heure plus tôt et la douce mélodie fredonnée par ma mère, je luttais contre le sommeil qui menaçait doucement mais sûrement de m'emporter.
" Mon rêve se résume en un seul mot
C'est que je puisse avoir une patrie
Sans guerres civiles, ni destructions, ni maux
Sans désastres, ni calamités, ni infamies
Les fauteuils, occupez-les
Les richesses, les ressources, prenez-les
Mais, épargnez la patrie
Au nom de Dieu, laissez-moi ma patrie
Oh ! Mon amour, mon pays
Toi, mon bien-aimé chéri
Toi, ma fière épithète
Le diadème de ma tête
La prunelle de mon œil
Du citoyen, tu es le légitime orgueil
Du militant et du politique aussi
Tu es le plus beau, tu es le plus nanti
Tu es au-dessus de tous les fauteuils"Triste et belle chanson d'amour que Lotfi Bouchnak adressait à sa nation. Triste et belle chanson d'amour que ma mère faisait sienne. Elle chantait sa nostalgie. Elle chantait son mal du pays. Elle se remémorait. Elle reconnectait avec son identité et je reconnectais, à travers elle, avec une partie de la mienne. L'appel du pays, cette appartenance pleine et entière à une communauté. Union entre l'individu et cette entité qui le dépassait. Union complète qui n'entraînait aucune remise en question. Tu es ton pays, ton pays est toi. Cette fusion quasi parfaite rendait la séparation déchirante. Je ne pouvais m'empêcher pourtant de l'envier. Moi, le produit d'un entre deux. Entre deux pays, deux identités.
Entre deux mondes qui ne me reconnaissaient que partiellement. Quel mal était le plus terrible ? Trouver puis perdre son âme sœur ? Chercher à jamais une âme sœur à l'existence incertaine ?- Dis Mama.
- Hum... ?Elle pliait le linge et ne m'écoutait que d'une oreille.
- Ça te manque ? , demandai-je d'une voix pâteuse.
- Quoi ?
- Le bled
- Oui.
- Tu regrettes d'être venue en France ?
- Non, c'était mon destin, répondit-elle le regard un brin mélancolique.Tic-tac. Mes paupières s'alourdirent.
"Un week-ensoleillé en perspective."
Je n'allais pas tarder à sombrer lorsque ma mère, après un long et profond soupir ajouta :- Il y a beaucoup de choses que je regrette. Pas ça. Mais beaucoup d'autres.
Mon cœur manqua un battement. J'étais à présent bien éveillée. Je savais ce qu'elle sous-entendait. Je ne le savais que trop bien malheureusement.
Prends un risque. Sors de ta zone de confort.
Plus facile à dire qu'à faire. J'avais soudainement très chaud. Je me dégageai de la couverture. Décoiffée, j'arrangeai mes cheveux. Je gagnais surtout du temps. Du temps avant de me lancer. Et si j'y allais. Si j'arrachais le pansement d'un coup et supportais la vive mais courte douleur que ce geste provoquerait indubitablement.- Beaucoup ?
Petite, le teint brun, des formes dissimulées sous un de ses innombrables pyjamas à imprimé floral, des mèches grisonnantes s'échappant de l'étoffe qui contenait ses cheveux. Ma mère s'interrompit en pleine tâche. Elle posa sur moi un regard scrutateur.
- Oui.
Elle n'allait visiblement pas me faciliter les choses.
- Comme quoi ?
Perplexe, des lignes se dessinèrent sur son front. Je cherchais délibérément à entamer une conversation déplaisante. Non, le terme n'était pas assez fort. Cette conversation serait sans aucun doute traumatisante.
- Je regrette de ne pas avoir quitté ce quartier quand vous étiez petit.
Ma mère se montrait prudente. À juste titre. Certains sujets étaient devenus tabous. Par ma faute, je crois.
Je ne voulais pas qu'elle se censure en ma présence. Je n'étais juste pas assez forte pour encaisser certains échanges. Pas assez solide pour aborder certains sujets. Sors de ta zone de confort.- Tu aurais aimé vivre où ?
- N'importe où.Ses yeux se voilèrent.
- J'aurais dû partir quand vous étiez petits, répéta-t-elle.
Je pressentais la suite. Impossible de faire marche arrière.
- Mon fils serait en vie si j'étais partie.
Douleur fulgurante à la poitrine.
Respire Jena. Respire.
Le désespoir d'une mère. Le désespoir de ma mère. Que pouvais-je faire ? Rien. Absolument rien. Marquée à vie par une perte qu'on ne souhaite à personne. La perte de son enfant. Quelque soit ses torts , il reste son fils, son bébé. Celui qu'elle a porté dans son ventre pendant 9 mois, dans ses bras puis à bout de bras pendant des années. L'amour d'une mère est sans limite. Il dépasse la mort.
Mes poumons cherchaient désespérément de l'air. Je priais pour que la douleur cesse mais elle ne faisait que croître.
Je parvins à trouver la force nécessaire pour quitter mon siège et la rejoindre. Je l'encerclais de mes bras. Je voulais lui communiquer tout l'amour qu'elle m'inspirait. Je voulais compatir. Je voulais la réconforter. Mais c'est elle qui essuya mes larmes. C'est elle qui m'adressa des paroles rassurantes. C'est elle qui me consola.
Prends un risque.
Les risques ne valent très souvent pas la peine.
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Déboires chroniques
ChickLitLa vie est loin d'être un long fleuve tranquille. Les espoirs, les idéaux, l'utopie que notre esprit engendre sont mis à mal par les épreuves jalonnant notre chemin. La solidité des liens amicaux et amoureux est testée durant ces épreuves. Jena, ét...